L'été est là, qui sera chaud n'en doutons point. Il est temps de vous équiper d'un couvre-chef, et en normands un peu chauvin nous vous proposons ceux de la FABRIQUE DE CHAPEAUX DE PAILLE D'ALENÇON :
« Alençon qui, sous le règne de Louis XIV , avait dérobé à Venise le secret de la fabrication de ses magnifiques dentelles, a fait depuis peu d'années un nouveau larcin à l'Italie, et peut maintenant rivaliser avec elle pour la confection de ses superbes chapeaux de paille. Avant 1822, la France ne possédait encore qu'une seule fabrique de chapeaux de paille, façon d'Italie ; et les produits de cette manufacture française, située près de Lyon, étaient loin d'approcher de ceux que nous fournissait Florence. On était même communément persuadé que l'Italie seule pouvait faire naître ces tiges reflétant l'or du soleil le plus pur, que seuls les doigts délicats d'une florentine pouvaient former ces fines tresses, et les assembler en léger éventail pour ombrager le front de la beauté.
Malgré ces préjugés, un homme industrieux, enfant de la Normandie, M. Bouillon, ne désespéra point d'affranchir son pays d'un tribut d'à peu près quinze millions payé, chaque année à l'étranger pour cette seule branche d'industrie. Sans maîtres, sans études, sans autres guides que ses réflexions, sans autres aides que son épouse, ses deux filles et deux nièces, il devina et mit à exécution tous les procédés de la fabrication si compliquée des chapeaux de paille. Ses essais commencés en 1822 ne furent pas de suite couronnés de succès, mais suivis avec une rare persévérance et un esprit de perfectionnement ils offrirent bientôt les plus heureux résultats, et il sortit de la fabrique d'Alençon des chapeaux de 300 fr. et au-dessus.
Jusqu'en 1826, M. Bouillon avait tiré ses pailles d'Italie. Il ensemença alors du blé qu'il avait fait venir de Florence ; son essai fut récompensé par des tiges qui, pour la beauté et la souplesse, ne laissaient rien à désirer. Depuis cette époque ces mêmes blés n'ont point dégénéré. Les terrains découverts, où la pierre mêlée à l'argile paraissent, mieux que les autres, convenir à cette culture.
M. Bouillon, ayant sous sa main la matière première, put accroître son établissement. Il attira des ouvriers italiens, il apprit l'art de la tresse à grand nombre de femmes et d'enfans que cette industrie fait vivre. Le conseil municipal d'Alençon favorisa ses efforts ; celui du Mans lui fit les offres les plus avantageuses, s'il voulait porter dans cette ville son industrie et ses travaux ; mais M. Bouillon eut la générosité de refuser ces propositions pour faire jouir sa ville natale du fruit de sa découverte.
Lors de son passage à Alençon, Madame la duchesse d'Angoulême visita la fabrique de M. Bouillon qu'elle encouragea par les paroles les plus flatteuses, et le 2 mai suivant elle lui accorda le brevet de fournisseur de sa maison.
Cependant la fortune bornée de cet homme industrieux ne lui permettait pas de donner de grands développements à son établissement. L'esprit d'association est venu à son secours. La fabrique est maintenant la propriété d'une société anonyme, autorisée par ordonnance royale du 16 juin dernier. Cette société compte parmi ses membres les principaux négociants de la ville et les hauts fonctionnaires d'alors. M. Bouillon et sa famille sont restés à la tête de l'établissement.
Cette industrie emploie beaucoup de femmes et d'enfants tant à Alençon qu'à Mortagne. Dans cette dernière ville on ne fabrique que la tresse. A Alençon seulement se font le tri et le blanchissage de la paille, la couture des tresses, l’apprêt et la pression des chapeaux.
Des dépôts sont établis à Paris, au Mans et à Angers. On y livre les produits de la fabrique d'Alençon à un prix bien inférieur à celui des chapeaux d'Italie, n'ayant point à payer des frais de transport aussi considérables, et un droit de vingt pour cent à la douane.
Des confrontations récentes avec des chapeaux d'Italie ont prouvé que les chapeaux fabriqués à Alençon avec des pailles récoltées en Normandie ne le cèdent en rien aux premiers. Les marchands les plus connaisseurs de la capitale et des voyageurs des fabriques de Florence s'y sont mépris eux-mêmes et ne pouvaient se persuader, quoiqu'on le leur affirmât, que les échantillons qu'on leur soumettait étaient de façon française. » LE COINTRE.
[Extrait de la REVUE NORMANDE, publ. sous la dir. de Arcisse de Caumont, à Caen chez Chalopin, Mancel et Trébutien. 1er Vol. 1830, 2e partie (Bm Lx : norm 515)].
On lira avec profit le long (et très documenté) article de J. Odolant-Desnos dans le Dictionnaire de l'industrie manufacturière, commerciale et agricole (T.3, pp. 219-225.- Paris 1835) consacré au chapeau de paille d'Italie, de Suisse et au chapeau de paille cousue.
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