Cet atelier avait lieu dans le cadre de la Semaine Bleue, une semaine dédiée aux personnes âgées. Cette année l'édition a lieu du 3 au 9 octobre. Nous avons donc écrit avant tout avec l'idée de « changer notre regard sur les aînés, de briser les idées reçues ».
Pour le premier texte, nous avons chacun choisi une photo parmi un ensemble de portraits de personnes âgées, afin d'adresser une lettre à cette personne, à la manière du texte de la philosophe Simone Weil « Il restera de toi ».
Le deuxième texte était l'occasion de s'adresser à une de nos « fées », comme le décrit la chanteuse Petite gueule dans sa chanson « Moi j'crois aux fées ».
Enfin le troisième exercice était d'écrire une ode à un objet, soit le sien, soit celui d'un proche.
Marie
Aboubakar
Niger, 1991
Rencontré sur un trottoir à Niamey
Je n’ai jamais oublié ton visage
Ton sourire ta main tendue
Je me suis assise à côté de toi
J’ai posé ma tête sur ton épaule
Tu as dit ces simples mots
Viens tu es ma fille
Retour peut-être d’une autre vie, j’y crois.
Tu restes pour toujours dans mon cœur
Ton visage vient souvent dans mes rêves
Je te retrouverai, je te vois.
A bientôt. Je le sais.
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Le piano bar
Le son de l’orgue
Odeur d’un parfum
Le sommeil
Sourire d’un passant
Le rêve éveillé
Pas léger du chat noir
Ame sœur
Pluie le long des branches
Flamme jumelle
Soleil couchant sur la mer
Un souvenir d’instant de grâce
Fraternité
Les feuilles d’automne
Le feu
Réconfort d’une amitié
Je ne sais pas décrire
Ni ce qu’est une fée
Camille
Il restera de toi
Il restera de toi ce que tu as partagé
Au lieu de les garder dans nos mémoires rouillées
Il restera de toi quelques senteurs de ton jardin secret
Toi fleur inoubliable qui n’a jamais fané
Ce que tu as semé en d’autres longtemps se récoltera
Toi qui arrives au bout de ta vie
Chaque jour encore et toujours tu la succuleras
Il restera de toi ce que tu as offert
De ton esprit ouvert traversant le siècle en avance
Il restera de toi ce que tu as laissé
Que tu as su refuser loin des dogmes stériles
Tous ceux que tu as aidés
De ton âme feront une statue
Toi qui rejoins le terme de ton existence
Pour toujours à nos yeux tu brilleras
Il restera pour toi nos larmes heureuses
D’avoir connu tes yeux rieurs
La douceur de ton cœur
Il restera de toi ce que tu as planté
Les récoltes d’une vie de labeur
Redistribuées aux mendiants de la paix
Ce que tu as implanté pour l’art, la culture,
Et la beauté a pu germer pour toi
A celle qui voua sa vie
Aux enfants, aux artistes, aux opprimés
A tous ceux en qui tu survivras
Les méfaits de mes fées
(à la manière emphatique des Champions du XIIème siècle)
J’ignore combien de fées
Sur mon berceau se penchèrent
Il dut y en avoir une nuée
J’imagine comme elles s’épanchèrent
Ce jour-là elles furent généreuses
Pardonnez que je m’en réjouisse
Mais comprenez que j’en sois bien heureuse
Elles m’offrirent trop de dons pour que de tous je jouisse
J’ai déjà du mal à tous les ranger dans ma yourte
Ils se bousculent pour se rappeler à mon bon souvenir
C’est que la vie si longue soit-elle sera bien sûr trop courte
Pour œuvrer à la hauteur de ce legs dans mon court devenir
Quelle responsabilité s’impose
De chaque jour affûter mes outils
Danse, théâtre, chant, poésie, prose
Pour en user de manière aboutie
Et si demain la mort m’emporte
J’aurais honte d’avoir profité trop peu
De tous ces beaux desseins auxquels m’exhortent
Les cadeaux de mes marraines si précieux
Même si je feignais de ne le point savoir
Mes lutines se cachent dans les belles rencontres
Et quand j’avance dans le noir
Silencieusement la lumière elles me montrent
Je le nomme Léon,
Je l’ai affublé de ce petit nom.
Quand il arrive à Léon de trépasser
Je baptise sans nullement ressasser
Le suivant du même prénom.
Je les appelle tous Léon.
Léon se plient à tous mes désirs
Sans rechigner du moindre soupir
Eux et moi ensemble formons
En duos de choc un Cam et Léon
S’adaptant à du tout terrain
Léon me suivent au bout du monde en meilleurs copains
Jamais ne se montrent grognons
De loin mes plus fidèles compagnons
Leur toujours agréable compagnie
Partage plus près que quiconque les plus extraordinaires épisodes de ma
vie
Suivant mes pas dans les sinueux sillons
Quand du reste du monde nous nous éloignons
Paysages, flore, faune, architecture
Couchers de soleil, insolites textures
Depuis le temps que nous nous fréquentons
D’un même souffle nous nous émerveillons
En meilleurs amis
Dans un bonheur partagé infini
Le monde entier nous arpentons
Jamais l’un de l’autre nous ne nous lasserons
Léon sont mes préférés
Parmi tous mes objets
Avec ses incroyables options
Léon restent l'inégalé champion
Dans le top de mes priorités mon appareil photo
Sur la liste de mes bagages figure tout en haut !
A Michèle Jamet
De son vivant… toujours vivante ! Vivante à Jamet !
« Ma Chou »
Les belles rides
Des joies gravées en ton âme
Tes yeux nous dérident
Ils chantent ta flamme
Une grande vague à l’âme
Je me sens apatride
Ta perte
Nous déserte
Mais en rien ne nous déshérite
Louons ton mérite
D’avoir fécondé la suite
Les pages de ta vie
Par ton aura n’ont jamet flétri
Jamet connu l’ennui
Cette force qui te construit
Une larme perle dans un cri de merle
Belle comme toi unique éphémère
Belle comme la nuit
Belle à l’envi
Aimant tellement la vie
Flots de larmes muettes
Phrases rendues désuètes
Bal d’images tant d’hommages tes dons, en mage
Depuis les nuages, à vous tous grands sages dans nos vies de passage
Larmes obsolètes
Culture du vivant jamais à la retraite
Ta malice et ton front plissé
Toujours complices et
Un grand récépissé
A tout ce que tu as tissé,
Au creux de nous métissé
Une larme de plus
Rappel du statut de minus
Face au grand tout
Aux hauts marabouts
A tous les nous
En qui ça bout !
Une larme bloque
Encore en proie à ton onde de choc
Qui nous fait mal
Il paraît que c’est normal
Dans mon rôle
Se soigne mon moral
Une larme au bord du cœur
De calme se maquille aussi la douleur
Ton indéfectible chaleur
Telle une quotidienne ferveur
En attrape-bonheur
Toi emplie de lueur
Une, deux, trois larmes
Sans jamet délaisser nos armes
Car l’éthique
Antithétique
Si trop étique
N’applique en pratique
Une larme encore
Il faut pourtant bien la mort
Précieux fut le trésor
D’avoir apprécié tout l’or
Que tu as fait éclore
Pour les tiens, les autres, jusqu’aux derniers pécores
Une larme bleue
S’évaporant avec toi dans les cieux
Humains douloureux
Humains bienheureux
Espoirs du mieux
Qu’on peut
Alain
Bienveillant à notre curiosité
Porteur de souvenirs
Agaçant, telles les chaussettes de notre moitié
Porteur de messages à venir
De son chat qu’elle a relégué
Aude, à jamais sans son portable
Elle ne peut l’imaginer
La vie sans lui, c’est une fable
Léonie
Que restera-t-il ?
Que restera-t-il de vous quand mon cœur d’enfant sera dans un corps d’adulte ?
Il restera la douceur du coton et l’odeur de la lessive.
Il restera le gout du saucisson mais aucun ne sera aussi bon que le tien.
Il restera la sieste réparatrice pour laquelle je trouverai toujours le temps malgré le rythme effréné de la vie.
Il restera le pain bien serré, bien dense, difficile à mâcher mais tellement meilleur que la baguette aérienne.
Il restera la longueur de ta tresse que malgré mes efforts je ne pourrai jamais égaler.
Il restera la chaleur de vos bras si douce et constante.
Il restera un être humain que vous avez aidé à façonner et qui connaitra les petits bonheurs de la vie. Il restera moi.
Moi, les fées, j’y crois pas. Moi, je crois aux anges. Chérubins, dominations, archanges … ce sont les noms savants que donne la Bible. Moi, j’ai mes anges. Mon ange parisien qui m’aide à trouver une place de parking ; mon ange infirmier qui me seconde dans mon métier ; mon ange gardien qui doit être à mes côté en permanence mais je n’en suis pas sure : je ne l’ai jamais rencontré.
Et il y a les nages de passage. Ceux qui se déguisent en M. et Mme Toulemonde mais qui font mouche dans mon cœur.
Les yeux pétillants et les mains ridées de cette vieille palestinienne.
Le sourire charmant (charmeur ?) et les magouilles de ce directeur
La disponibilité et l’écoute de ce médecin
L’enthousiasme de cette jeune femme
Le bisou-câlin de cet enfant
Et tant d’autres dont je dois avoir humblement qu’ils ont été si importants pour moi à un moment qui est passé mais que j’ai oublié. Et par-dessus tout il y a toi. Toi qui es là à chaque fois que j’en ai besoin. Toi qui es là même avant que je sache que j’en ai besoin. Toi qui es là gratuitement. Toi qui sembles avoir plaisir à être là pour moi. Toi qui ne dois jamais disparaitre ; mais si tu es un ange tu ne disparaitras jamais. Toi à qui je ne sais pas dire ma reconnaissance mais dont je ne saurai me passer.
Toi, l’ange de ma vie.
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Par dizaines, par douzaines,
mais toujours par paires
Bleues, vertes, jaunes,
multicolores mais toujours par paires
Une à droite, une à gauche,
séparées par tes yeux mais toujours par paires
Quand tu es partie
nous avons découvert ton trésor
Par dizaines, par douzaines,
par centaines même mais toujours par paires
Nous ne t’avons jamais vue sans
tes boucles d’oreille, maman
Dans ton sac
Dans ta poche
Dans un placard
Dans un gâteau
Le matin tôt
Le midi au café
Au goûter, obligé
Le soir devant la télé
Pour le magnésium
Pour éviter la déprime
Pour le plaisir
Mais surtout par gourmandise
Jamais, jamais
Je ne t’ai vue sans,
Même quand je te retrouve
Après une longue absence
En tablette, en carrés
Noir ou au lait
Le chocolat
Est ton meilleur allié.
Anne-Marie
Vieille femme au sandwich.
Tu es vieille et tu ne l’es pas. Ton regard concentré vers quoi je ne le sais pas. Ton chignon tressé, rempli de cheveux blancs te fait ressembler à une petite fille. Mais tu ne l’es pas. Ton alliance toute simple témoigne d’une vie engagée. Mains amoureuses, laborieuses, fortes. Ce sandwich que tu tiens fermement témoigne de ton élan vital qui nous fait penser que la vie tu vas la déguster jusqu'à la dernière miette.
Fée
La mienne s’appelait Juliette. Penchée au-dessus de mon berceau car c’était ma grand-mère.
Elle avait une conception de la vie que je ne partageais pas : la vie est une tartine de m….e, il faut en manger un morceau tous les jours. En dehors de l’image peu ragoûtante de ce cliché cette affirmation me faisait réfléchir. Non je n’en voulais pas de sa vie pleine de malheurs qui se répétaient de génération en génération. A force de l’entendre je savais au moins ce que je ne voulais pas. Au travers de son exemple de femme soumise et surtout très malheureuse je me suis construite. Au travers de son discours je découvrais les écueils à éviter, les efforts et les sursauts qu’il faudrait fournir. Elle m’a fait prendre conscience qu’être acteur de sa vie était possible et que la soumission n’est pas la bonne stratégie. Grâce à elle j’ai un côté rebelle, exigeant qui ne cède pas à la pression du qu’en dira-t-on et aux préjugés hostiles. Merci à toi qui m’a éclairée, toi qui avais subi ton destin sans révolte.
Ode au lave-linge.
Fini le temps des lavandières, des lessiveuses et de la brosse à poils en chiendent.
Ma petite vedette, vraie star de l’entretien du linge tu m’as été fidèle pendant treize ans. Aucune panne, avarie ou dysfonctionnement pendant ces années de fidélité. A nous la couette crasseuse qui prenait toute la place dans le tambour étroit. A nous les torchons coton maculés de taches graisseuses. A nous les programmes les plus utilisés : tous les jours, pendulaires, coton éco, 30, 60, 90 degrés, essorage variable. Tu me faisais des promesses d’efficacité et de qualité de travail. J’avais un rapport fusionnel avec cette machine. L’homme ne savait pas s’en servir Pourtant qui a dit « que le linge sale se lavait en famille » ?
Maïlys
Il restera de toi ton sourire malicieux
Tes éternelles lunettes sous lesquelles on devine
Les larmes de rire au coin de tes yeux
Il restera de toi ta merveilleuse bonne humeur
Tes périodes de « moyen moins » aussi
Tes moments de doute et de douceur
Il restera de toi ton goût pour la natation
Pour les lettres, pour les bretelles
Et les graines que tu sèmes par la transmission
Il restera de toi l’amour que tu nous donnes
Et qui continuera de grandir
Dans le cœur des générations à venir
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Petit frère. Pas en vrai mais presque.
On se connaît depuis toujours, merci au hasard qui a mis nos mamans sur
la même route, qui m’a fait naître en mai et toi en mai un an plus tard.
On a un peu grandi ensemble, mais seulement pour les meilleurs moments.
Pour les vacances, pour le soleil, pour les chansons, les rires, les
trampolines.
Deux enfants uniques heureux de se retrouver, d’avoir ces moments à
partager avec un autre enfant.
D’avoir un peu un frère, d’avoir un peu une sœur.
La vie a fait qu’on s’est un peu éloignés.
Comme le font les vraies fratries peut-être, ou peut-être pas.
Tu es parti faire ta vie à Dublin, à Bruxelles, à Prague.
Je suis partie moins loin, près de la mer et de son calme.
Mais on revient toujours au berceau, de temps en temps.
Et je sais que quand on se retrouve tous les deux, c’est toujours comme
avant.
Un frère et une sœur. Pas en vrai mais presque.
Sur ta cheminée plein de photos
Toute la famille réunie dans des cadres colorés
Les mariages, les sourires des petiots
J’aimais m’arrêter pour les observer
La plus grande d’entre elles, ton fils sur sa moto
Qui occupe la place centrale de l’enfant parti trop tôt
Tu es partie aussi désormais
Tu l’as rejoint là-haut
Mais les photos de la cheminée
Dans la famille éparpillées
Nous aident à recoller les morceaux