jeudi 18 janvier 2024

Atelier d'écriture du 13 janvier 2024

Pour cet atelier, Anne-Lise nous a proposé de nous inspirer des illustrations de l'australienne Deb Hudson, dont vous pouvez découvrir le travail sur son site : debhudson.com




Sophie


Tout est blanc. Il fait froid. Il fait nuit.
Derrière elle, la lune. Sous ses pieds la neige.
Autour d’elle, les bruits des branches d’arbres gelés crissant sous la légère brise, et le son de ses pas dans la neige. Scratch, scratch, scratch…
Elle avance dans ce décor noir et blanc, légère, innocente.
D’où vient-elle ? Où va-t-elle ? Qui est-elle ?
Elle emplit le paysage de sa présence et pourtant elle se fond en lui comme une douce amie.
Son diadème doré se perd dans sa longue chevelure blanche argentée.
Au bout de sa baguette, un soleil éclatant semble lui montrer le chemin, la guider vers son destin.
Elle s’y soumet aveuglément, tendrement, presque amoureusement.
La peau rose-orangée de son visage et de ses bras libère une chaleur bienveillante, une confiance et une sérénité immense.
Sa fidèle confidente vole non loin d’elle, la protégeant de son aura.
De son regard perçant la nuit la plus profonde, elle saura lui faire éviter les embûches.
D’où vient-elle ? Où va-t-elle ? Qui est-elle ?
Bientôt elle sera passée… Et si je la suivais ?



Jean-Lou


Il était une fois une petite fille qui allait dans son jardin et attrapait un papillon dans ses mains et posa le papillon sur un tournesol qui était de couleurs multicolore. Quand soudain le papillon s‘envola du tournesol où il était posé dessus pour emmener la petite fille avec lui. Lorsque qu’il arriva au ciel le papillon déposa la petite fille sur les nuages et lui continue sa Route. Les années passent et la petite fille grandit d’année en année. Un jour la petite fille devient une jeune femme. Puis le papillon revient chercher la jeune femme. Donc la jeune femme attrapa les ailes du papillon et le papillon la déposa sur le Sol et la petite fille continua sa vie comme Avant...



Kristell


Elle tournait les pages à toute vitesse. Rien ne pouvait l’arrêter, il fallait qu’elle trouve ce numéro. Vite, le trouver…

« Be… Bi… Bo… Ci… Non. Comment s’appelle-t-il déjà ? Isidore ? Non. »

Enfermée dans la cabine, elle paniquait. Trouver son nom, son numéro. Il fallait qu’il vienne l’aider. Lui seul le pouvait. Elle s’était réfugiée dans la cabine téléphonique.

« Ka… Ke… Ki… Kiwi ? Non plus !... Laurent ? Certainement pas !... Arf… Je dois trouver son nom ! »

La mémoire qui flanche, c’est pénible. Les mots s’effacent dans sa tête. Encore eût-il fallu qu’on les lui ait appris ! Si jeune et si vieille dans sa tête. Hors d’âge. Les mots et les sons se bousculent… Se souvenir…

« Mmm… Ma… Maman ? Peut-être… Je ne sais plus ce que ce mot veut dire. A-t-il été joyeux jadis ? Mais non ! Et d’ailleurs, pourquoi jadis ? J’ai cinq ans ! Je suis un papillon. Mon amie la coccinelle viendra m’aider et me sortir de cette cabine ! Vite, trouver son numéro ! Ne pas paniquer. Respirer. Je finirai bien par retrouver ! Retrouver quoi au fait ?... Qu’étais-je en train de chercher ? Comme tout le monde, mon enfance ? Mon temps ? Mon bonheur ?... Ah oui ! Ma mémoire ! »



Hélène


« Petit papier. »

Petits papiers
Ou grandes feuilles
Qui s'envolent
Pleines de phrases folles
De mots
Rigolos
Ou pas beaux
Les feuilles d'automne
Descendent vers le sol
Celles-là
du seuil de ma maison
Montent en tourbillons
Dans une joie sans nom
Des lettres
C'est la fête
Des dessins
De belles couleurs
Des fleurs
Volez tout autour de la Terre
Chargées de tant d'univers
Croisées avec les tiennes
Avec les vôtres
Des bouquets enrubannés
Des livres uniques
Un livre
Un bateau ivre
Le feuilleter
Et s'y plonger
Jusqu'au fond des abîmes
Y danser de joie
Y claquer d'effroi
Petits papiers
Avancer
Livre
Vivre.



Catherine


« Le rêve de Lucile »

Blottie dans la chaleur des plumes
Le silence aspirant son souffle
Elle danse.
Sa colonne vertébrale s’étire. Ses bras tournent en spirales,
reliés à son cœur, à son ventre, à son esprit.
Ses pieds sortent de terre
Pour jouer dans l’air
atteindre le ciel.
Elle saute, caracole, vole, s’envole.
Elle rit, sourit.
Ses cheveux tournoient.
Ses yeux sont là et ailleurs.
Dans le silence, elle s’invente une musique, un rythme pour elle.
Lucile est elle-même, joyeuse, légère, unique.
Le réveil l’appelle ; doucement elle se redresse,
s’étire et
s’ouvre à aujourd’hui.



Maïlys


Elle est partie ce matin. Un dernier souffle, presque sans bruit.
Elle a quitté le monde à pas de souris, pour aller danser sur d’autres chemins.
Je l’imagine flotter, légère. Un dernier lien avec la terre, et le fil se coupe net.

Elle est partie ce matin, je sais que c’est pour son bien.
Tu peux voler maintenant, je ne te retiendrai plus.



Camille


Le père de famille de ma succession venderesse.
Parkinson.
Je ne l’ai connu qu’indirectement, et pourtant assez intimement : 
ses passions, ses estampes, ses nombreux petits tableaux vilains comme tout, ses magazines d’histoire, ses fantassins miniatures, ses meubles en bois massif aux plateaux de marbre, sa magnifique roseraie multicolore, ses évaluations par l’Inspection Académique !
Etrange ce que chacun garde, ce que les proches laissent, qui trouve ces trésors, et en fait quoi...
Peut-être même des brouillons, redispatchés, vers quelles nouvelles aventures ?

 

Puis, rapidement, le voisin.
La retraite deux ans avant.
Trop tôt bien sûr.
Dommage.
Du peu que j’ai connu, il semblait profondément bienveillant, avec son doux sourire, subtilement drôle, affectueux, calme.
Rebelote : dès les travaux bruyants des grosses machines faisant aveuglément table rase de tout le passé,
Et moi épluchant méticuleusement, solennellement, ses carnets d’écolier, ses poèmes et leçons d'anglais aux images scotchées dans des cahiers jaunis aux odeurs imprégnées d'ancienneté.

Des biographies par fragments, d’un autre siècle, d'un autre millénaire... 


Mon oncle, l'année d'après.
Phlébite.
Mon amoureux et lui n'avaient pas encore eu l'occasion de se connaître.
Nous étions loin, hors des frontières.
Il avait eu à se battre en leur nom, au nom de la patrie, et aurait sûrement sinon vécu une toute autre vie...


Le voisin et mentor d’un ami agriculteur.
Vieillesse. Usure du labeur qui l'a pourtant si longtemps conservé droit et fier.
A sa mémoire nous visionnons son interview : son humour rebelle nous amuse.
Une bibliothèque brûle.


Qui d’autre ensuite ?

Je les ai déjà oubliés.
De ci, de là, impression naïve qu’en 2023 ça n’arrêtait pas.
Vite effacés de ma mémoire sursaturée.
Vite disparus de nos existences tous ceux pour qui l’histoire s’est terminée.
Je réalise qu'à les chercher dans les labyrinthes du temps s'imposent davantage à mon esprit les suicidaires, les dépressifs, les souffrants, bien là, encore vivants.


Une copine enchaîne les décès.
L’ancien compagnon de sa mère, son ex-beau-père.
Mauvais état général, très affaibli.

Jamais connu son père.
Accident violent.

Coup sur coup sa sœur.
Septicémie.

Ses doigts crispés sur ma main,
elle se raccroche, ravagée :
« t’es ma famille maintenant ».


Le frère d’une amie proche.
Cancer.
Fraîchement divorcé. Rupture de liens avec ses enfants, sa fratrie.

Un mois plus tard, son père.
Tristesse. Solitude.

Avant-hier, une ancienne collègue, croisée par hasard.
Cinq décès dans l’année.


Hier, un copain de collège-lycée.
Cirrhose.
Sa vie ne devait pas être si rose.
Je savais avant d’arriver qu’un décès rassemblait une bande de copains. En terrasse, j’étais happée par la surprise de retrouvailles de longue date avec deux d’entre eux, je n’avais pas encore recoupé. C’est en entrant dans le bar, en reconnaissant les bouilles de toute la bande que je réalisai.
« Je vous vois rassemblés, tous... Mince, c’est vous qui avez perdu un pote. »
« (soupir) Ouais. Ben tu le connais. »
Oui je l’ai connu, et me voilà là du fait des aléas du hasard. Parmi tous ces gars qui se fréquentent depuis l’enfance, réunis autour de l’annonce du décès, j’étais la seule fille.
D’ailleurs j’entretenais avec lui une relation d’amitié en parallèle des groupes, une relation duelle comme je les aime, à s’offrir des tête-à-tête qui s’étirent jusqu’à l’aube, traversant la nuit, refaisant le monde.
Des papotages à l’infini.
De la légèreté, de la profondeur.
Plongées dans l’âme, ouverture du cœur.
Cela faisait tant d’années que je ne l’avais pas recontacté.

Ça n’a jamais guère été lui qui me relançait.
Sa porte me fut toujours ouverte pour autant.
Apparemment cela faisait beaucoup d’années aussi que ses amis n’avaient plus accès à lui.
J’ai souvent parlé de lui, encore tout récemment, critiquant la pression d’une norme sociale désuète.
Chacun s’acharnait à le dissuader d’arrêter les études, on le disait perdu.
« Passe au moins ton bac, sinon t'es foutu. »
La suite me semble lui avoir donné raison.


J’en retiens la même leçon que celle reçue à 15 ans par ma tante.
DID : Diabète Insulino Dépendant.
Elle avait DÉ-CI-DÉ.

A 50 ans elle est décédée.
Elle gardait SES I-DÉES.
Elle préférait vivre, boire, manger, fumer, sans se priver, se limiter, se refuser, se frustrer.
Elle a vécu comme elle l’entendait.


Lui aussi, ce vieil ami, me semble avoir poursuivi ses aspirations.
N’est-ce pas là leur liberté suprême ?
On ne décide pas de quand et comment mourir.

On essaie de choisir, un peu, comment et pour qui vivre…

Un des copains réunis là me soulignait comme il ne l’a jamais entendu critiquer qui que ce soit.
Je me rappelle comme il ne supportait pas l’autorité. C’est vrai que les profs en bavaient un maximum.
J’ai mieux connu le sous-sol dans lequel il s’était réfugié ado que la maison de ses parents.


Il ne sait pas que j'ai enfin rencontré l'homme avec qui je veux vieillir... que je suis revenue dans la région, que j'ai acheté une maison, planté mes arbres fruitiers... que faire des années je fais du slam, de la poésie, des adaptations de contes... 


A chaque scène ouverte de slam, la conclusion de l'animateur nous redonnait le sourire avant de partir.
C’est important d’offrir des sourires.
« Si vous ne savez pas quoi faire de votre argent, si vous avez la possibilité de donner un ticket resto, une clope, une capote, un chèque en blanc, ou tout autre objet qui vous encombre, un chapeau va tourner. Et surtout d’ici notre prochain rendez-vous (et le public de s’écrier d’une même voix) ''RESTEZ VIVANTS'' ».

Condoléances.
C’est con les doléances.
Certes la douleur est nommée,
Mais revendiquer les qualités et dresser le portrait élogieux, ne devrions-nous pas nous efforcer de le faire au gré des opportunités du vivant des gens, avant qu’ils ne se meurent de tristesse, de solitude, de manque de soins pour eux-mêmes ?


« Allez tous vous faire aimer » avant que le temps ne vienne vous emporter...



Stéphanie


Au début, un papier reçu les yeux clos. Un papier ça se reconnait, c’est très mince, celui-ci était un peu plus grand qu’un post it et pas collant du tout, mais disons qu’au toucher, j’en ai vite fait le tour, alors j’ai ouvert les yeux sur une page blanche. 

J’ai trouvé ça une drôlement bonne idée, la page blanche. C’est un vaste sujet, et jadis, elle m’a bien fait peur, m’a bien empêchée, m’a bien fait baigner dans le jugement, l’auto-censure, tout ça tout ça. Mais c’est fini depuis que j’ai lu il y a au moins 15 ans le livre de Julia Cameron Libérez votre créativité, et que du coup j’écris, et que je pratique les ateliers d’écriture. 

Comme toutes les pratiques, l’écriture va mieux en se pratiquant. C’est en écrivant que je deviens écrivaine. Même si je n’ai guère de lecteurs. Au mieux quelques auditeurs attentifs et bienveillants dans les ateliers d’écriture, mais j’ai publié deux livres sur internet, et presque personne ne les a lus. C’est comme ça. Je n’ai plus d’opinion à ce sujet. J’ai fait ce que j’avais à faire et autant j’étais dans volonté déchaînée avant publication, amenant livre n° 1 chez 70 éditeurs parisiens ! Autant j’ai lâché prise une fois que j’avais sorti le livre sur le site de « mon petit éditeur ». 

Un jour j’ai lu dans un livre drôle et un peu méprisant qui s’appelait je crois « comment rater sa vie ? », qu’un des plus beaux ratages possibles était d’être un ou une ancienne alcoolique qui amenait son autobiographie chez un grand nombre d’éditeurs sans parvenir à se faire éditer. C’était mon portrait. Bon, mais je me fichais profondément de l’opinion de cet auteur. J’avais fait ma crotte, j’avais un sentiment d’accomplissement même sans lecteurs.

Cette page blanche du jour était une petite page blanche carrée. Je l’ai retournée. Je n’étais pas sûre qu’elle était blanche des deux côtés. Et en effet de l’autre côté il y avait un charmant dessin, d’une fillette et d’un papillon, qu’elle tenait par les pattes comme elle aurait tenu un guidon de vélo, mais je n’ai plus le temps de me laisser vraiment inspirer par lui. Est ce qu’elle vole ? Ce n’est pas clair, elle est un peu au-dessus du sol ou alors c’est juste un effet de perspective… c’est probablement comme je veux. Et de toute évidence, j’ai été nourrie par la page blanche. Merci. Mon mot du jour lorsque nous nous sommes présentés était « contente ».