Ce sont d'abord les yeux, toujours.
Puis la peau.
Les mains aussi.
Les cheveux.
Le nombril parfois, les fesses plus souvent.
Et la poitrine bien sûr.
Pour le reste, nada. Ou presque. La littérature et le cinéma font peu cas des autres parties du corps, il me semble.
Et pourtant, les membres sur lesquels on repose (les pieds) sont célébrés de façon remarquable par un non moins remarquable auteur italien : Erri De Luca.
Je vous recopie ici cette célébration que j'ai eu le plaisir d'entendre en langue française avec l'accent italien dans le sublissime spectacle « Quichotte et les invincibles » de Erri De Luca (auteur), Gianmaria Testa (auteur, compositeur, interprète) et Gabriele Mirabassi (clarinettiste). Plutôt avare de superlatif, si je dis « sublissime », je pèse mes mots...
Peut-être aurez-vous la chance de voir ce spectacle, en tournée depuis 2006 dans toute la France.
ELOGE DES PIEDS
Parce qu'ils portent le poids tout entier.
Parce qu'ils savent se tenir sur des appuis et des prises infimes.
Parce qu'ils savent courir sur les rochers et que même les chevaux ne savent pas le faire.
Parce qu'ils emmènent.
Parce qu'ils sont la partie la plus prisonnière d'un corps incarcéré
et ceux qui sortent au bout de longues années doivent réapprendre à marcher en ligne droite.
Parce qu'ils savent sauter,
et ce n'est pas leur faute si en haut du squelette il n'y a pas d'ailes.
Parce que nus ils sont beaux.
Parce qu'ils savent se planter au milieu des rues comme des mulets
et former une haie devant la grille d'une usine.
Parce qu'ils savent jouer au ballon.
Parce qu'ils savent nager.
Parce que, pour des hommes de bons sens, ils étaient une unité de mesure.
Parce que ceux d'une femme faisaient frire d'impatience les vers de Pouchkine [...].
Parce qu'ils sont gais et qu'ils savent danser le merveilleux tango,
les pétillantes claquettes, la flagorneuse tarantelle.
Parce qu'ils ne savent pas accuser
et qu'ils n'empoignent pas d'armes.
Parce qu'ils ont été crucifiés [...].
Parce que, comme les chèvres, ils aiment le sel.
Parce qu'ils ne sont pas pressés de naître
mais qu'ensuite au moment de mourir ils regimbent
au nom du corps
contre la mort.
Erri De Luca.
1 commentaire:
Merci Marie,
Texte magnifique que j'ai plaisir à transmettre à mes amis. CL
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