Le Bonhomme Normand
de H. Sprecher
de H. Sprecher
Hôtel du « Cheval Blanc » de Vire
*
Beau Canard qu'on bride en entrée,
Qu'on barde, ainsi qu'un chevalier,
Dans la casserole beurrée
Il a le plaisir singulier
De cuire au four, trente minutes :
Sombre étuvée aux chants occultes.
Puis on dégraisse le chanteur,
On le flambe, c'est un acteur
Qui va très bien jouer son rôle.
Retiré de la casserole,
Qu'un bon verre de cidre sec
A déglacé, il ouvre un bec
Plein d'eau-de-vie... Adieu suprême :
On réduit, on mouille de crème.
Mais, dans le beurre, hors du feu,
L'étamine en refait un dieu !
Croûton large, long et doré,
Dont l'intérieur est beurré
Orne la panse inassouvie
De reinettes à l'eau-de-vie,
Des bouquets de cresson aux paniers de citron.
Regarde, autour de toi, les convives en rond ;
Vois le canard en aiguillettes
Et la sauce d'or aux paillettes
Légères te couvrir dans toute ta longueur.
A ton centre — ô croûton — la chose est de rigueur,
Les ailerons avec manchettes
Sont posés : dans nos mains ont tremblé les fourchettes,
Car, grillée et pannée et complétant le tout,
Une cuisse fait face à l'autre, à chaque bout.
Et c'est alors, Sprecher, qu'au pays de la pomme,
A belles dents, chez toi, nous mangerons le « Bonhomme ».
Chronique gourmande de La Normandie Illustrée, n°1 – Avril 1926.
Le Homard à l'Américaine
du Restaurant CHANDIVERT, de Caen
* *
*
Faites sauter vivement le homard tronçonné,
Coffre, pattes et queue, le tout assaisonné ;
L'huile à peine beurrée s'emploiera pour saisir
Carapaces et chair pour rougir et raidir.
— Observez un degré de rousseur raisonnable,
L'abus du calorique en serait détestable —
Ciselez finement oignons et échalottes,
Déglacez au vin blanc, telle une gibelotte
Ces deux liliacées fort à point revenues.
Flambez bien au cognac à la dose voulue,
Les vestiges derniers de son âme expirante ;
Mouillez-les de fumet d'une façon savante,
De manière à couvrir le pauvre crustacé,
D'une lente immersion, pas trop, mais juste assez...
Ensuite additionnez de pulpes de tomates
Fondues en soulignant la nuance écarlate.
Ajoutez une noix de glace de viande,
Qui lui imprégnera la finesse friande.
Le persil, l'estragon, un grain d'ail écrasé,
Parfumeront son corps pour l'aromatiser.
Partant à gros bouillons dans la sauteuse close,
Il subira le cours de sa métamorphose.
C'est cuit en vingt minutes, et d'un coup de spatule
Après réduction, mettez les mandibules.
Qui donneront au mets la réelle apparence :
L'aspect fera frémir les papilles d'avance...
Pour parfaire le fond, le moelleux s'obtiendra
En donnant au coulis un quart de beurre extra ;
Et celui-ci acquiert ; passé, à l'étamine,
L'homogénéité à teinte coralline ;
Puis l'assaisonnement au poivre de Cayenne
Finira la cuisson très épicurienne.
Décortiquez la chair et dressez en timbale ;
Couvrez de sauce au point et de chaleur égale ;
On ajoute parfois servi à part, très chaud
Comme accompagnement un plat de riz pillaw.
Accommodée ainsi, la chose en est certaine,
Vous aurez un homard « cuit à l'américaine ».
Restaurant Chandivert, Caen.
BOUTRY fils.
Chronique gourmande de La Normandie Illustrée, n°2 – Mai 1926.
-------------
« Le vers de mirliton est un art distingué et subtil, qui permet de passer pour un crétin aux yeux des imbéciles ». Cet aphorisme tient lieu d’épigraphe à Ubu à l’Elysée, dernier opus de Claude Semal.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire