Sept à huit (29/03/09) - Matsuki, Junichi et Kouji ont tous entre 60 et 78 ans... et ils viennent d'être jetés en prison. Auteurs de vols, d'agressions à l'arme blanche, voire de tentative de meurtre. Ils n'avaient jamais commis de délit auparavant. Les raisons de ce soudain et tardif passage à l'acte : l'absence de couverture sociale, la faiblesse des retraites dans un pays vieillissant. Au Japon, le nombre important de personnes âgées qui ont perdu leur emploi ou leur petit boulot à cause de la crise, jette des milliers de gens dans les rues. Alors, devenu vieux, on vole par nécessité ou pour trouver en cellule un toit et un bol de riz. Les prisons n'ont d'autre solution que de s'adapter : aménagements pour fauteuils roulants, nourriture spéciale pour ceux qui ont des dentiers... Un reportage édifiant d'Elodie PAKOSZ et de Jérôme ALEXANDRE dans le pays où les prisons...
Sept à huit", diffusé le 29 mars 2009
http://videos,tf1,fr/video/emission/setahuit/
En regardant ce reportage, je me suis souvenu d'un article que j'ai lu dans Le Normand de 1838 en faisant des recherches sur un tout autre sujet.
J'ai trouvé cette histoire, et surtout cette petite vieille très touchante.
L'orthographe est celle du texte original.
Tribunal de police correctionnelle.
Appuyée sur les bras de deux gardes municipaux, une pauvre vieille femme toute cassée, toute infirme, toute tremblottante, vient, d'un pas pénible et mal assuré, se placer au banc de la police correctionnelle. Son costume, ses traits brulés par le hâle, annoncent une paysanne des environs de Paris. Elle déclare d'une voix presque inintelligible se nommer Marguerite Bouvier, être âgée de 78 ans.
M. le président.- Pauvre femme, restez assise ; vous nous parlerez mieux ainsi, puisque vos jambes refusent de vous soutenir.
La vieille (s'asseyant)?- C'est pas de refus not' juge... V'là tantôt 80 ans qu'elles me portent les gredines de jambes, et à c'tte heure all' disent comme ça qu'c'est leur tour de se r'poser.
M. le président?- Ecoutez; on vous a trouvée; à une heure du matin, couchée dans la rue… Est-ce que vous n'avez pas un domicile ?
La vieille.- J'ai fait mon temps, not' bon juge... J'ai couché dans un lit tant que j'ai pu gagner de quoi le payer..; Au jour d'aujourd'hui j'peux pas travailler, faut ben que j'me domicile ousque ça coûte rien.
M. le président.- Ne pouviez-vous pas solliciter votre admission dans un hospice ?
La vieille.- Si c'était un effet de votre bonté de me combler de ce bienfait !...
M. le président.- Cela ne dépent point du Tribunal... Vous deviez vous adresser à l'administration... Aujourd'hui, vous êtes en état de vagabondage, c'est un délit que la loi punit sévèrement.
La vieille.- O ben ! puisque vous ne pouvez pas m'accorder l'hospice, mettez-moi en prison... C'est tout de même. Mettez-moi à la perpétuité, si c'est un effet de votre part.
M. le président.- Vous n'avez donc pas d'amis qui veuillent vous réclamer, et se charger de vous ?
La vieille.- Les amis du pauvre, c'est les pauvres, et chacun a ben assez de mal pour se subssister soi seul...
M. le président.- Mais des parens, des enfans ?
La vielle avec émotion.- Non, M, le juge, ne parlez pas de ça, et mettez-moi bien vite en prison, s'il vous plait.
M. le président.- Vous avez semblé émue quand j'ai prononcé le mot enfans... Vous êtes mère sans doute ?
La vieille pleurant.- Ne m'en parlez pas, mon juge... laissez-moi oublier...
M.le président avec intérêt,- Ils vous ont chassée peut-être, ils refusent de pourvoir à vos bésoins ?...
La vieille, sanglotant.- Oh ciel ! oh ciel ! si on peut dire !... mes enfans me chasser, refuser du pain à leur vieille mère ! Oh ! mon Dieu seigneur ! qui est-ce qui peut inventer des crimes comme ça, et contre mes enfans ! contre ma pauvre Julienne !... (Avec fermeté.) Je veux la prison, mon juge ; j'ai fait ce qu'il faut pour ça, on ne peut pas me libérer, ça s'rait pas juste !
M. le président.- Qu'y a-t-il donc ! Comment se fait-il que vous préfériez finir vos jours dans l'infirmerie d'une prison ou d'un hospice, plutôt qu'au milieu de vos enfans, que vous paraissez si tendrement aimer ?
La vieille.- C'est mon secret, à moi... ça n'peut pas se dire... n'men parlez plus, mon bon juge, si vous avez pitié de la pauvre Marguerite.
Une voix.-Eh tiens ! c'est la mère Marguerite ! c'est bien elle vivante et en chair. Quoique vous faites là, vous, la vieille ! Ah ben !
M.le président.-L'individu qui parle connaît la prévenue ? qu'il approche.
Un charretier en bourgeron bleu et en grosses guêtres s'avance au milieu des curieux étonnés, et s'arrête au pied du tribunal en tenant son fouet d'une main et son bonnet de l'autre.-Oui, que je la connaissons, dit-il, c'est la vieille Marguerite, la mère à Julienne Colas, qui la pleure pour morte depuis quinze jours qu'elle a disparu de leur maison. Même que Julienne est en bas avec son mari, qu'ils sont venus tout exprès pour prendre des informations à la police. J'vas vous les chercher, voulez-vous ?... Pauvres enfans, qui la croient trépassée. Ah ! vous leur en faites de dures, la vieille !
M.le président.- Hâtez-vous d'aller avertir les enfans de cette femme ; amenez-les ici sur le champ.
Le charretier.- Oh ! bah ! faudra pas de cheval de renfort pour ça... Mais, minute !... si le plaisir allait les tuer !... Bah ! j-y mettrons des précautions.
Le brave homme sort en courant, sans écouter la vieille qui le supplie de ne rien dire à ses enfans. Bientôt un grand tumulte se fait à la porte, la foule s'ouvre, et un paysan et sa femme, escortés du charretier, se précipitent dans la salle d'audience. "Les voilà ! les voilà ! s'écrie le charretier.- Ma mère ! où est ma mère" s'écrie la femme, prête à défaillir. Son mari la prend dans ses bras et la soutient. L'émotion est au comble.
La vieille, debout, sans voix, agite les bras et semble engager ses enfans à s'éloigner, à l'abandonner... Ah ! mère ! méchante mère ! dit la fille, quel mal vous nous avez fait !... Nous quitter, disparaître comme ça sans rien dire !
La vieille.-Mes enfans, mes enfans... vous mêlez pas de ça... laissez-moi faire toute seule...
La fille.-Eh quoi faire !... vous laissez mettre en prison... vous, vieille mère... vous, à votre âge... Vous voulez ça... et que je le permette !...
M.le président.- Elle n'ira pas en prison si vous la réclamez, si vous promettez au tribunal de la loger, de la nourrir, d'avoir bien soin d'elle.
La fille.- Si je le promets ?... Est-ce que ça se demande ?
Le mari.- Y'aura toujours du pain et un lit pour vous, bonne mère, et le meilleur encore !
La vieille.- Ah ! mes bons juges, qu'est-ce que vous avez fait ? Je m'étais fait arrêter pour ne plus leurs être à charge. Je sais bien qu'ils me reprendront, je sais bien qu'ils se ruineront pour moi, je les connais. Mais si vous saviez, c'est si pauvre ! ça n'a que tout juste de quoi aller, et ça a quatre enfans ! Moi, quand j'ai vu venir le quatrième, il y a quize jours de ça, j'ai dit : Allons, la vieille, il faut partir, il faut faire place à ce pauvre petit. Moi, je suis vieille, je suis inutile, je dépense sans rien gagner, faut les quitter pour leur bien. Et voilà ; et on m'a arrêtée ; je voulais aller en prison.
La fille.-Vous n'irez pas, mère !...
Le mari.-Par exemple ! j'vas droit me plaindre au gouvernement, si vous faisiez un coup pareil.
Le charretier.-Allons ! vieille ! est-ce qu'il y a pas des amis, aussi !... est-ce que le roulier sera pas là pour donner un coup de main à la roue ! allez donc.
Le tribunal, vivement ému de cette scène dramatique et touchante, s'empresse de rendre la vieille Marguerite à ses bons et tendres enfans.
Elle sort appuyée cette fois sur le bras de sa fille et celui de son gendre, et leur répète en pleurant : "Fallait me laisser faire, mauvais enfans, fallait me laisser faire."
Et vous qu'en pensez-vous ?
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