vendredi 4 décembre 2009

Au panier, l'évêque !


Voici une lettre de doléances extraite de l'une de nos dernières acquisitions patrimoniales :
L'Industrie, le commerce et les travaux publics en Normandie au XVIIe et au XVIIIe siècle (documents inédits) / Célestin HIPPEAU.- Paris : Aug. Aubry, libraire, 1870.

[Non, non ! Elle n'est pas trop longue !]


PLAINTE DES HABITANTS DE LISIEUX CONTRE LEUR ÉVÊQUE

2 août 1704


"Monseigneur,

On se trouve obligé de représenter à Votre Grandeur que depuis quelques années M. l'Évêque de Lisieux, pour se donner une grande vue le long de la vallée de Pont-l'Évêque et de Touques, a fait abattre et démolir les tours et les murailles qui fermaient la ville du côté de son palais épiscopal ; il a fait combler les fossés tout larges et tout profonds qu'ils étaient, pour se faire des terrasses et des jets d'eau ; il a enfermé dans ses travaux les remparts et ôté l'ancien chemin qui conduisait du chemin de Pont-l'Évêque à la porte de la Chaussée, ayant seulement laissé derrière sa terrasse un petit chemin si impraticable pendant la plus grande partie de l'année, que les charrettes qui voiturent tous les ans le sel pour remplir les greniers de la gabelle, ont été forcées de prendre un grand tour par les villages voisins pour venir à la ville par une autre porte, ce qui leur a causé beaucoup de peine et d'embarras.

Et pour avoir des matériaux qui ne lui coûtassent rien, ses gens ont fait ruiner et renverser des ouvrages avancés qui étaient hors la porte appelée de Paris, assez considérables pour une petite ville ; ils ont fait la même chose de plusieurs chemins couverts qui étaient dans les fossés, et d'une bonne partie des murailles et des tours de la ville ; il n'y a plus de pont-levis aux portes, les chaînes de fer et les bascules auxquelles elles étaient attachées ont été emportées ; les portes de bois sont dépendues ou ne ferment point, en sorte que cette pauvre ville est ouverte à toutes sortes d'insultes, dans un temps où Sa Majesté, par nos soins et notre vigilance, Monseigneur, veut que l'on se précautionne contre les descentes et invasions des ennemis de l'État, en obligeant les paroisses, depuis la mer jusqu'à Lisieux, à fournir des hommes de milice pour la défense de la côte ; et comme ce prélat croit que son nom, son crédit, son autorité et son grand bien le mettent en état de faire tout ce qui lui plaît, il recommence ses entreprises encore aujourd'hui, il vient de s'emparer de ce qui restait de fossés jusqu'à la porte de la Chaussée, faisant encore démolir les tours et les murailles qui fermaient la ville de ce côté-là.

Si la ville de Lisieux était, comme elle a été du temps des précédents évêques, gouvernée par de bons bourgeois et par des gens qui n'eussent que le bien public en vue, si elle avait un gouverneur qui fît son devoir, il y a longtemps que l'on aurait pris les voies pour informer Sa Majesté de ces entreprises ; mais les choses ne sont pas en cet état ; c'est un sieur de Monmartin qui est revêtu du gouvernement de cette ville, entièrement attaché à la maison de Matignon ; les principaux officiers de la ville, le maire, le syndic, le greffier, les notaires, sont les commissionnaires de M. l'Evêque dans leurs offices et dans leurs charges, et par conséquent dans sa dépendance et dévoués à lui par intérêt ; ainsi nul secours à espérer de ce côté-là.

La ville a pourtant un grand intérêt qu'il y soit pourvu, ayant à craindre que quelque jour on n'oblige ses bourgeois, tout pauvres qu'ils sont, à réparer à leurs dépens ces ruines et ces débris.

Agréez donc, s'il vous plaît, Monseigneur, que quelques habitants particuliers, zélés pour leur patrie, qui désirent prévenir un si grand mal, vous fassent leurs très-humbles remontrances sur cela et vous supplient d'interposer votre autorité pour obliger M. l'Evêque de Lisieux à rétablir les choses d'une manière convenable pour la sûreté de la ville et des habitants.

On en aurait écrit à droiture à Sa Majesté et à ses ministres, si on ne s'était pas promis de votre bonté, de votre justice et de votre vigilance, Monseigneur, que vous donnerez les ordres nécessaires pour l'y engager."







Pris depuis les fenêtres de l'ancienne bibliothèque, ce cliché du Jardin public atteste de la vue imprenable sur la grasse vallée de la Touques voulue par Léonor II de Matignon, évêque-comte de Lisieux de 1677 à 1714 incriminé dans le texte.


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