mardi 8 avril 2008

Le Tableau du trimestre (1) : Celui que vous ne verrez pas !

Le musée d’art et d’histoire de Lisieux a souhaité présenter hors les murs, quelques tableaux choisis dans ses collections. La médiathèque André Malraux exposera un tableau par trimestre sur la voie gallo-romaine dans l’espace adultes.

Avril-Juin 2008 : Celui que vous ne verrez pas !

Léon-Maxime Faivre
Dernière Victoire
1880
[Huile sur toile, 234/182 cm. Signé en bas à gauche : Maxime Faivre, 1880. Musée de Lisieux. Salon de 1880, n°1375 ; Envoi de l’Etat en 1880]

Dans l’Antiquité romaine, les gladiateurs étaient le plus souvent des condamnés ou des hommes libres dans le besoin donnés en spectacle dans des combats à mort à l’issue desquels ils pouvaient regagner leur liberté ou une somme d’argent. Maxime Faivre peint ici l’après combat, les coulisses de ces jeux meurtriers. A l’arrière-plan, au fond à gauche du tableau, une trouée lumineuse laisse apercevoir le ciel, on pressent l’agitation de l’arène. Le gladiateur a tourné le dos au bruit et à la fureur, il se retire pour la dernière fois dans les coulisses, il va bientôt mourir, il est blessé à mort comme l’indique le titre : Dernière Victoire. Le gladiateur peint ici est un rétiaire, gladiateur léger reconnaissable à ses attributs: trident, filet (ici absent), poignard et, pour tout armement défensif, un brassard au bras gauche et un galerus (large épaulière qui couvrait la base du cou), pas même un casque. La tête ceinte d’une couronne de lauriers d’or, soutenu par un esclave noir qui porte le trident brisé qui l’a mortellement blessé, il offre la palme de sa victoire à Hercule, intrépide combattant et célèbre héros grec. Vainqueur, ce gladiateur a regagné sa liberté, il devrait maintenant aller suspendre ses armes à un pilier du temple d’Hercule comme le veut la tradition mais il n’en aura pas le temps.

Ce tableau s’inscrit dans un contexte de retour à l’Antiquité chez les peintres du XIXème siècle. Depuis la fin du XVIIIème siècle en effet et les découvertes des sites de Pompéi et Herculanum, les artistes dits « néoclassiques » s’inspirent de l’Antiquité quand ils ne la copient pas. Mais si les artistes néoclassiques s’inspiraient de l’Antiquité à titre d’exemple, pour sa valeur morale, à la fin du XIXème siècle, les peintres dits « pompiers » ne s’y réfèrent plus que de manière anecdotique, comme à une citation qui a perdu toute valeur d’exemplarité. On ne ressent en effet face à ce tableau ni admiration ni pitié pour ce gladiateur dont les traits et l’expression ne laissent transparaître aucune grandeur. Son visage n’exprime aucune élévation dans la souffrance ou le sacrifice de soi, on y lit presque une certaine mièvrerie. Nous sommes proches ici de la définition que le Petit Robert donne de la peinture pompier : « se dit de peintres ayant traité de manière conventionnelle des sujets artificiels et emphatiques. » Ce tableau présente une autre caractéristique de la peinture pompier telle que la définit Maurice Rheims : « respecter le beau et en même temps peindre l’atroce ». La peinture pompier, cet académisme de la seconde moitié du XIXème siècle, avait en effet un penchant pour les sujets atroces ou morbides : exécution, mort, souffrance, maladie, mais il s’agissait de peindre ces sujets dans la belle manière académique. Si Faivre peint ici la mort d’un homme, sujet terrible, il se soucie avant tout de respecter un beau formel dans la lignée de ce que l’on a appelé l’académisme : primauté du dessin sur la couleur, prédominance de la peinture historique, choix de sujets inspirés de l’Antiquité, souci de l’anatomie, correction du dessin et de la perspective, tout en satisfaisant au goût de l’époque pour ce genre de sujets. Si ce que nous connaissons et apprécions aujourd’hui du XIXème siècle (l’impressionnisme notamment) est loin de ce genre d’images, c’est pourtant ce type de tableaux qui fit la gloire et la richesse des peintres d’alors et qui leur valût d’obtenir les médailles au Salon et les commandes de l’Etat.

Les gladiateurs dans la peinture du XIXème siècle… quelques références :

En présentant au Salon de 1859 Ave Caesar ! Morituri te saluant (ceux qui vont mourir te saluent), tableau qui eut un succès immédiat auprès du public, Gérôme popularise la thématique du gladiateur. En 1872, Gérôme toujours, dans un tableau intitulé Police Verso peint à nouveau des gladiateurs, gladiateurs qu’il traduira en sculpture en 1878. En 1880, Faivre ne peut donc pas ne pas avoir en tête les travaux récents de Gérôme sur les gladiateurs.


Mais si Gérome fait preuve dans ses tableaux d’un souci de précision archéologique poussé à l’extrême : de son aveu même, il a utilisé comme sources des textes littéraires et des objets antiques (un petit bronze du cabinet des médailles de la Bibliothèque Nationale lui a fourni le costume des gladiateurs) et a demandé à un architecte de l’aider à reconstituer le Colisée ; Faivre, lui, utilise les gladiateurs comme une citation, un prétexte pour peindre un grand format académique sur une thématique alors à la mode…


Gérôme exécutant les gladiateurs, 1878, Musée d’Orsay, Paris. Jean-Léon Gérôme (les gladiateurs) / Aimé Morot (Gérôme)

Deborah Goy, Attachée de Conservation - Musée D'Art et d'Histoire de Lisieux.

Au fait, pourquoi ce tableau ne sera-t-il pas visible à la Médiathèque ? Il est le Prisonnier de l'église Saint-Jacques !

A suivre : la semaine prochaine, celui que vous verrez.

3 commentaires:

Marianne a dit…

De toutes façons, ce sont des hommes nus et bien portants que nous souhaitons voir dans la médiathèque ! Cet homme-là est mal en point, blanchâtre, et fait plutôt pitié qu'envie. Alors vivement la semaine prochaine où nous découvrirons The Tableau... J'espère que ce sera le bon !
Marianne

Anonyme a dit…

Ah ma pauvre Marianne, quelle déception sera la vôtre !

Anonyme a dit…

Encore un article qui reproduit les clichés dépréciatifs sur la peinture académique du XIXè siècle. Si ce que "nous" connaissons et apprécions aujourd'hui du XIXè siècle est loin de ce genre d'images, c'est surtout parce que la peinture académique a été honteusement dénigrée et le plus souvent censurée (reléguée dans les réserves des musées) par le microcosme omnipotent des gardiens du "bon" goût officiel moderniste. L'article aura au moins eu le mérite de proposer une reproduction de qualité d'une toile de Maxime Faivre.