mercredi 9 août 2017

Nous sommes tous des travailleurs exploités du numérique

En utilisant nos ordinateurs, tablettes ou smartphones, nous travaillons pour Google, Facebook, Amazon et les autres grandes plates-formes du web. Souvent sans le savoir et sans être payés.  Explications.
Sculpture "Gloire à la joie et au travail" à Eskilstuna en Suède (Wikimedia commons)

Google a l'art de faire d'une pierre deux coups.


Vous avez sûrement déjà pesté contre les captcha. Ce sont ces petites photos à la fin des formulaires d'inscription qui montrent des caractères déformés ou flous. Votre rôle : taper les lettres ou chiffres dans une case afin de démontrer que vous n'êtes pas un robot.

Jusqu'à quelques mois, Google a utilisé ce système d'identification. L'entreprise aurait dû vous remercier : vous lui avez sorti plusieurs épines du pied. Quand vous tombiez sur des mots à transcrire, probablement venaient-ils de textes numérisés par Google Books, la bibliothèque numérique de Google. Comme son logiciel de reconnaissance de caractères (OCR) peinait parfois à reconnaître des passages de livres, Google les refilait comme captcha afin que vous les déchiffriez à sa place. Quand vous deviez reproduire des chiffres, vous aidiez plutôt Google Street View, le service d'exploration de rues. Grâce à votre œil perçant, Google identifiait les numéros postaux placardés sur les maisons. Alors sympa d'être employé bénévole chez le géant du web ?

Nous sommes consentants


Mais aujourd'hui vous travaillez aussi pour des sociétés aussi importantes que Facebook, Microsoft, Uber, Airbnb... Quel honneur ! Et vous le faites souvent de bon cœur. Emballé par un livre, vous rédigez une critique enthousiaste sur le site d'Amazon ? Vous êtes en train de créer de la valeur au profit du cybermarchand. Même le simple fait de cliquer d'un produit à l'autre intéresse Amazon car ces gestes apparemment anodins affineront les résultats du fameux carrousel : "les clients ayant acheté cet article ont également acheté...". Même si, en vérité, vous n'avez rien acheté. Qu'importe, pour Amazon, c'est l'intention qui compte.


Sur Facebook, votre besogne de travailleur consentant se résumera à mettre des likes, à partager des messages ou à rédiger des commentaires. Du pain béni pour Mark Zuckerberg et ses employés (les vrais). Avec ses deux milliards d'utilisateurs, Facebook devine ainsi les goûts et les besoins d'une grande partie du monde entier. Par exemple, il sait ce qu'aiment les amateurs de vidéos félines, âgés de 18 à 25 ans, et habitant le Schleswig-Holstein - une jolie région allemande. Une étude de marché ultra-ciblée que le réseau social s'empressera de revendre à des annonceurs.

Nous sommes des "micro-tâcherons"


Les chercheurs ont donné à toutes nos micro-activités le nom de digital labor (travail numérique). Le débat étant de savoir si ces petites tâches doivent systématiquement donner lieu à une rémunération. Passe pour le contrat de travail. La validation des conditions générales d'utilisation endosse ce rôle. Vous savez, c'est ce texte rébarbatif que vous ne lisez jamais lorsque vous vous inscrivez sur un site.

Le spécialiste des humanités numériques Antoine Casilli a trouvé une expression pour désigner ces travailleurs du clics : les micro-tâcherons. Une ligne de plus à ajouter à votre CV


Nous pouvons être rémunérés


Ce nouveau travail, vous pouvez d'autant plus l'afficher que certains sites vous proposent de vous payer pour exécuter ces micro-tâches à faible valeur ajoutée. Le plus célèbre est Amazon Mechanical Türk. Sur cette plate-forme, se rencontrent les donneurs de travail (Amazon, et toutes sortes d'entreprises) et les demandeurs (nous). On nous demande pour quelques dollars et même quelques cents de traduire un mode d'emploi, de répondre à un sondage, de sous-titrer une vidéo, de liker le message d'un homme politique ou d'une marque... Malgré la rémunération au lance-pierre et le caractère douteux de certaines tâches, cette formule attire aussi bien les travailleurs des pays pauvres que ceux qui recherchent juste un revenu d'appoint.

Si le filon vous intéresse, cherchez aussi sur Microworkers. Parmi les propositions de travail, on vous invitera à qualifier le sentiment que vous inspire la lecture d'un tweet. Ou, plus loufoque, de repérer les points d'acné sur une série de portraits ! Une tâche qui ravira sûrement les amateurs de jeu "point & click".