mercredi 18 novembre 2009

Incubes et succubes

Voilà bien deux mots qui m'ont toujours terrifié, et que renforcèrent la vision des tableaux fantasmatiques de Henry Fuseli (1741-1825) et la lecture [du titre] de l'ouvrage du révérend père Sinistrari : De la démonialité et des animaux incubes et succubes.

Voyez aussi cette analyse par Voltaire de l'Incube dans son Dictionnaire philosophique, extraite ici du Nouveau manuel des Boudoirs pour faire suite aux Essais érotiques sur les Demoiselles d'Athènes (Bruxelles, ca1885)

A-T-IL existé des incubes et des succubes ? Tous nos savants jurisconsultes démonographes admettaient également les uns et les autres. Ils prétendaient que le diable, toujours alerte, inspirait des songes lascifs aux jeunes messieurs et aux jeunes demoiselles ; qu'il ne manquait pas de recueillir le résultat des songes masculins, et qu'il le portait proprement et tout chaud dans le réservoir féminin qui leur est naturellement destiné : c'est ce qui produisit tant de héros et de demi-dieux dans l'antiquité.

Le diable prenait là une peine fort superflue ; il n'avait qu'à laisser faire les garçons et les filles, ils auraient bien sans lui fourni le monde de héros.

On conçoit les incubes par cette explication du grand Delrio, de Boguet, et des autres savants en sorcellerie ; mais elle ne rend point raison des succubes. Une fille peut faire accroire qu'elle a couché avec un génie, avec un dieu, et que ce dieu lui a fait un enfant ; l'explication de Delrio lui est très favorable. Le diable a déposé, chez elle la matière d'un enfant prise du rêve d'un jeune garçon ; elle est grosse, elle accouche sans qu'on ait rien à lui reprocher, le diable a été son incube ; mais si le diable se fait succube, c'est tout autre chose ; il faut qu'elle soit diablesse, il faut que la semence de l'homme entre dans elle : c'est alors cette diablesse qui est ensorcelée par un homme, c'est elle à qui nous faisons un enfant.

Que les dieux et les déesses de l'antiquité s'y prenaient d'une manière bien plus nette et plus noble ! Jupiter, en personne, avait été l'incube d'Alcmène et de Sémélé. Thétis, en personne, avait été la succube de Pelée, et Vénus, la succube d'Anchise, sans avoir recours à tous les subterfuges de notre diablerie.

Remarquons seulement que les dieux se déguisaient fort souvent, pour venir à bout de nos filles, tantôt en aigle, tantôt en pigeon, tantôt en cygne, en cheval, en pluie d'or ; mais les déesses ne se déguisaient point, elles n'avaient qu'à se montrer pour plaire. Or, je soutiens que si les dieux se métamorphosèrent pour entrer sans scandale dans les maisons de leurs maîtresses, ils reprirent leur forme naturelle dès qu'ils y furent admis. Jupiter ne put jouir de Danaé quand il n'était que de l'or, il aurait été bien embarrassé avec Léda, et elle aussi, s'il n'avait été que cygne ; mais il redevint dieu, c'est-à-dire, un beau jeune homme, et il jouit.

Quant à la manière nouvelle d'engrosser les filles par le ministère du diable, nous ne pouvons en douter, car la Sorbonne décida la chose vers l'an 1318 : « Per tales artes et rites impios et invocationes daemonum, nullus unquam sequatur effectus ministerio damonum, error ».

« C'est une erreur de croire que ces arts magiques et ces invocations des diables soient sans effet ».

Elle n'a jamais révoqué cet arrêt ; ainsi nous devons croire aux incubes et aux succubes, puisque nos maîtres y ont toujours cru.

Il y a bien d'autres maures. Bodin, dans son livre des sorciers, dédié à Christophe de Thou, premier président du Parlement de Paris, rapporte que Jeanne Hervilier, native de Verberie, fut condamnée par ce Parlement à être brûlée vive, pour avoir prostitué sa fille au diable, qui était un grand homme noir dont la semence était à la glace : cela parait contraire à la nature du diable. Mais enfin notre jurisprudence a toujours admis que le sperme du diable est froid, et le nombre prodigieux des sorcières qu'il a fait brûler si longtemps, est toujours convenu de cette vérité.

Le célèbre Pic de la Mirandole, (un prince ne ment point) dit qu'il a connu un vieillard de quatre-vingts ans qui avait couché la moitié de sa vie avec une diablesse, et un autre de septante qui avait eu le même avantage : tous deux furent brûlés à Rome. Il ne nous apprend pas ce que devinrent leurs enfants.

Voilà les incubes et les succubes démontrés.

Il «est impossible du moins de prouver qu'il n'y en a point ; car s'il est de foi qu'il y a des diables qui entrent dans nos corps, qui les empêchera de nous servir de femmes et d'entrer dans nos filles ? S'il est des diables, il est probablement des diablesses ; ainsi, pour être conséquent, on doit croire que les diables masculins font des enfants à nos filles, et que nous en faisons aux diables féminins.

Il n'y a jamais eu d'empire plus universel que celui du diable. Qui l'a détrôné ? La raison.

[Lire aussi sur Wikipédia les articles : Incube et Succube]

1 commentaire:

Isa la discoTker a dit…

Pas de panique pour ceux qui n'en sont qu'aux démons de "Fascination". Dans la même veine ;) la série "Succubus blues" de Richelle Mead un peu moins romantique et beaucoup plus sulfureuse...