samedi 7 juillet 2007

Cerfs-volants


Alain et Elodie Chevalier ont investi la médiathèque en pavoisant les différents espaces du lieu d'une nuée de cerfs-volants originaux. A voir jusqu'au 30 août (Attention horaires d'été).


Alain Chevalier (1946 - ....)
Artiste scénographe, graphiste
4 bis avenue de la falaise - 14460 Colombelles.
Ecole Régionale des Beaux-Arts de Caen
Ecole Nationale d'Art dramatique de Strasbourg

" J'avais peut-être huit ans, quand, perché dans le sureau, derrière un "baraquement suédois", devant un bout de tissu de coton rouge et jaune, et deux baguettes en bambou entre les mains, je me confrontais, tel un aviateur, à un envol imaginaire. A cette époque, l'épopée de Guillaumet, St Exupéry, et Mermoz projetée en 8 mm dans la classe par l' instit du village me faisait plutôt rêver. Le reste, à part le dessin ou les fêtes de fin d'année n'était pas mon affaire. La vie rurale, à la fois douce et brutale était plus enrichissante.

Les impressions d'enfance, se cachent dans la forêt de notre inconscient, mais, pour ceux qui leur livrent passage, elles réapparaissent comme des signes mystérieux et inquiétants qui vous préoccupent et vous traversent de manière inattendue dans votre cheminement.

En 1976. Lors d'un voyage en Afrique Equatoriale, je découvris par hasard une reproduction d'une œuvre de Max ERNST" Après moi le sommeil". Au-dessus d'un paysage désertique, un oiseau aux formes géométriques s'envole silencieusement dans une nuit paisible. II semble sortir d'un oreiller minéral. Connaissant l'importance de la confrontation du végétal à la civilisation dans le travail de Max ERNST ainsi que ses influences africaines, la rencontre avec cette reproduction n'en fut que plus intense.

En rentrant de voyage, je refis la découverte de la diversité de son œuvre.

Plus tard, avec les machines auto-destructrices de TINGUELY, dans les déserts des Etats-Unis, œuvres éphémères refusant d'être muséifiées (ou juste le temps d'un rêve), j'eus l'impression de pénétrer de nouveau dans mon enfance à la campagne. Fils spirituel de Calder, cet esprit éolien dont les machines théâtralisaient le drame, la dérision, l'humour par le mouvement, me fascinait. Elles n'étaient pas sans me rappeler les angoisses que j'éprouvais devant les moissonneuses batteuses et autres machines agricoles, ou près des machines de guerre encore présentes dans la campagne de mon enfance.

En dehors de mon travail de scénographe, ce qui n'est pas une fin en soi, je flirtais avec les arts plastiques, après m'être intéressé, dans les années 1970, au tissage, à la matière et au fil et avoir fait quelques tentatives sur "le pli ". J'entrepris la création d'une exposition labyrinthique: " Voyage immobile", présentée dans les foyers du théâtre de Caen dans le cadre de l'atelier d' A.

"Labyrinthe. Parcours. Perdition. Jeu.
Sortir. Trouver l'issue. Mais aussi en sortir.
Trouver la faille. Mais encore "s'en sortir".
Trouver la clé.
"

François De Cornière

Je créais 10 séquences de 12 œuvres de même format (plat et volume) employant différentes techniques. La présentation fragmentée d'une manière aléatoire sur 50 mètres de longueur donnait une impression de fresque archéologique où le spectateur, torche électrique en main, avait la possibilité de jouer les archéologues en retrouvant un sens à toute cette installation.

"Voyage immobile. On n'avait jamais remarqué qu'une porte ouvre toujours vers l'intérieur". François De Cornière

Cette présentation, désacralisant l'œuvre d'art, démontrait que chaque œuvre n'est que le passage à une autre œuvre, et qu'elle ne représente qu'un point de repère dans le temps et l'espace où le passé n'existe que dans l'avenir et, quelque soit le chemin que l'on prenne, il y a toujours un lien.

"Tout corps, œuvre d'art ou objet, habite un espace circonscrit et qualifié, et cette fois les possibilités sont limitées, il faut toujours une distance entre l'œil et l'objet.

Interroger le lieu même d'exposition, c'est instituer un dialogue entre la limite et l'illimité. II faut une entrée qui est souvent la sortie, car dans une exposition on ne fait que passer, et pourtant l'œuvre exposée ne veut pas passer, elle veut demeurer et exister infiniment dans le regard et l'imaginaire du visiteur, ou du passant.

En somme le lieu d'exposition est en quelque sorte un espace tragique, le chemin qui mène aux œuvres est inextricable et il n'y a pas d'issue, sinon pour les corps.

On peut en effet suivre le parcours fléché par le catalogue, mais il balise seulement le parcours des corps et leur permet de retrouver l'air libre. Dans une exposition, il doit se passer quelque chose et pour cela il faut y demeurer quelques instants, si l'on veut voir, sentir, imaginer, penser; et l'embarras est grand, il suffit de constater le mouvement " brownien" des visiteurs dans un musée. Chacun tente un parcours, pour trouver un chemin vers l’œuvre. L'espace est clos, on tourne en rond avec ou sans fil d'Ariane.

J.P. Laurent

Chaque œuvre, tel un caillou du Petit Poucet, ponctue le cheminement de l'artiste cherchant à sortir de lui-même.

Je découvris ensuite les créations de PANAMARENKO. Très influencé par l'épopée de l'aviation et des dirigeables, sa démarche était celle d'un ingénieur de machines volantes, poétiques, émotionnelles et mentales. II outrepassait la dichotomie ordinaire science et cosmologie en plaçant le spectateur devant un envol imaginaire.Son travail et sa démarche ne pouvaient que me réjouir.

Puis je portais également un grand intérêt aux aquarelles de SCOLARI, architecte futuriste italien. Au-dessus d'architectures industrielles de barrages hydroélectriques, il faisait apparaître des machines volantes, légères, transparentes et égarées dans la nuit.

Parfois c'étaient ses dessins architecturés qui s'envolaient dans l'espace. En cela, il était parfois très proche de quelques oeuvres de Ernst auquel il a rendu hommage par quelques aquarelles.

Ces interrogations, enracinées dans l'inconscient, semblaient se rejoindre. Je me sentais très proche de ces signes insolites jusqu'à la " Charrue" de Braque.

Je retrouvais bien évidemment chez autrui ce que j'avais en moi-même.

Vers 1981, je rencontrais le sculpteur suédois Curt ASKER qui, depuis dix ans, travaillait sur la médiation avec l'espace, la nature environnante, proche du land art. II empruntait sa technique au cerf-volant avec une grande maîtrise. Aujourd'hui son travail est moins imagé. II intervient au coeur des paysages avec une extrême subtilité par des sculptures aquarelles volantes et dont la photographie est le seul témoignage de cet éphémère.

La découverte de sa démarche, ainsi que celle de Jackie MATISSE, empreinte d'une même approche, fut pour moi décisive.

1986. Après avoir terminé " Voyage Immobile ", l'idée d'envol ne se fit plus attendre. J'avais synthétisé toutes mes rencontres.

J'entrepris un projet qui consistait à faire voler des structures mobiles, transparentes, légères, sur graphisme noir, au-dessus des carapaces de tassilis millénaires au cœur du Sahara, espérant que le signe deviendrait peut-être révélateur de l'espace. De cette aventure difficile, il ne reste plus de structures ni d'aquarelles, mais quelques 2000 photos dont une dizaine correspond réellement au sens de ma démarche.

Ce fut une expérience !

Depuis, j'ai reconstruit toutes ces machines volantes d'une manière plus élaborée et plus complexe, attendant de posséder la logistique parfaite pour entreprendre à nouveau ce projet.

La difficulté est d'inscrire ces signes volants dans leur environnement, de transmettre une émotion, par l'apparence de fragilité, de déséquilibre, par l'évocation d'une fabrication d'urgence, avec des moyens dérisoires, donnant l'impression d'être toujours à la limite du détachement mais préservant le lien nécessaire à la survie.

S'ils volent, c'est très bien, mais si au sol, ils donnent encore plus l'impression de pouvoir voler, c'est peut-être parfait... "


Elodie Chevalier (1972 - ....)
Photographe, intervenante vidéo
4 rue Laplace - 14000 Caen.
lodival@yahoo.fr

Quand Elodie noue son tablier d'épicière,
ses yeux deviennent couleur menthe à l'eau,
les papillotes explosent des bonbonnières,
les oranges se dépouillent de leurs soieries d'or venues d'ailleurs
pour entretenir des conversations en Espéranto.
Comme des ombres chinoises,
les réglisses déroulent leur longue queue entre les étiquettes de camembert
qui, pour l'occasion, ont perdu leur matière grasse.
Tout vole, tout s'envole, épicerie vole
dans le temps d'une éclipse au chocolat.
Sur son île flottante, elle déroule le fil de l'avenir,
On sait déjà qu'il y aura de quoi se nourrir
d' images non périssables.
Apportez vos papiers à cette petite épicière
qui les métamorphosera en lucarne couleur framboise au goût d'anis
et qu'elle épinglera sur fond de ciel acidulé pour le plaisir des courants d'air,
avant qu'elle ne dénoue le nœud
d'alouette de son tablier
devant le miroir empli du reflet de ses yeux couleur menthe à l'eau.







1 commentaire:

Anonyme a dit…

On nelerépètera jamais trop: c'est magnifique ! Merci encore pour cette jolie fête de l'air ... en l'air . J'envoie l'article sur mon blog http://ecrirea2.unblog.fr dans quelques minutes. Et en cadeau, je vous mets en lien direct !
Cela dit, j'ai oublié hier de vous rendre un livre : Le Corsaire du Roi soleil ! Mille excuses,je viens de le retrouver dans mon bureau.
Belle journée. A bientôt. Cordialement.