vendredi 24 octobre 2008

Couvent ou Convent ?

UNE PETITE REMARQUE LEXICOLOGIQUE A PROPOS DU MOT COUVENT

Pourquoi aujourd'hui et depuis deux siècles environ, pas davantage, écrit-on et dit-on couvent au lieu de convent, qui est la forme ancienne et la seule rationnelle ? Convent, légitimement tiré du Latin conventus, assemblée, est la véritable orthographe étymologique, celle que veut le sens du mot et qui s'est perpétuée dans les dérivés ; on dit : règle conventuelle et non règle couventuelle, conventicule et non couventicule, et quand nos pères ont baptisé leur grande assemblée révolutionnaire, ils l'ont appelée Convention et non Couvention. Quel motif a donc pu induire tout le monde à dire couvent et déterminer les écrivains, les Académiciens, dans leur Dictionnaire, à sanctionner ce changement, sans protestation ?

Nous espérions trouver dans Littré la solution de ce petit problème ; mais Littré, qui est excellent presque toujours, est ici médiocre et des plus mal renseignés. Il s'imagine que couvent est la forme régulière, usitée depuis un temps immémorial, et que seuls un petit nombre d'écrivains anciens, très anciens, ont pu employer convent, par fantaisie ou par erreur.

« Couvent », dit-il, « maison religieuse d'hommes ou de femmes. Mettre une fille au couvent. Les seigneurs et les évêques de France mirent, par le consentement du pape Zacharie en 752, Pépin maire du palais sur le trône, et Chilpéric le dernier de leurs rois dans un couvent. (Mézerai, Histoire de France, t. I. dans Richelet) ; Ah ! souffrez qu'un couvent, dans les austérités, Use les tristes jours que le ciel m'a comptés (Molière, Tartufe IV, 3). Après qu'une personne, Bon gré, mal gré, s'est mise en un couvent. (La Fontaine, Mazet) ; etc.

» Remarque. D'après Vaugelas, on écrivait convent, tout en prononçant couvent. On trouve en effet dans Régnier, Sat. XIII : Jour et nuit elle va de convent en convent. La
première édition du Dictionnaire de l'Académie écrit convent. »

Comme si Régnier était le seul qui eût écrit convent ! Outre que l'Anglais, l'Italien et l'Espagnol ont conservé la forme convent et convento, ce qui est déjà une forte présomption en faveur de convent, il n'y en a pas eu d'autre dans notre langue jusqu'à la fin du XVIII siècle, et la première édition du Dictionnaire de l'Académie, qui est de 1694, aurait dû ouvrir là-dessus les yeux à M. Littré. Sans remonter au Roman de la Rose, à Joinville et à Commines, qu'il cite dans la partie historique, Rabelais, Clément Marot, Henri Estienne,n'ont jamais écrit que convent, et les exemples tirés de Mézerai, de La Fontaine, de Molière sont certainement empruntés à des éditions modernes dans lesquelles l'orthographe a été rectifiée ; que prouvent-ils alors ?

Voici comment cette singulière modification du mot convent a pu se produire ; ce n'est pas le seul exemple qu'il y ait, dans notre langue, du changement d'une lettre étymologique en une autre sans valeur, propre seulement à empêcher de reconnaître la filiation des mots. Ainsi, l'emploi de l'u comme voyelle et comme consonne, ayant en ce dernier cas le son du v, est cause que le v a remplacé l'u dans bien des mots où la raison voudrait que l'u fût conservé. Qui se douterait aujourd'hui que plèvre et pleurésie, inflammation de la plèvre, sont dérivés du même terme Grec, πλενρόν, flanc ? On écrivait autrefois pleure. « La fracture des costes du dedans, » dit Ambroise Paré, « à cause qu'elle picque la pleure, excite inflammation ; » personne alors ne pouvait s'étonner que l'inflammation de la pleure s'appelât pleurésie. Quand on employa le v, en typographie, tantôt comme v et tantôt comme u, indifféremment, on imprima plevre, puis quelque correcteur mit un accent grave sur le premier e muet et plèvre finit par prévaloir. Une aventure du même genre a dû arriver à convent. Dans l'écriture ancienne, les u ne sont pas distincts des n, et même actuellement bon nombre de personnes prennent fort peu le soin d'attribuer à ces deux lettres une forme diflerente.

Lors donc que Littré dit, d'après Vaugelas, qu'on écrivait convent, tout en prononçant couvent il se trompe ; c'est tout le contraire : on écrivait couvent, couuent ou couueut, et on prononçait convent, de même qu'on pouvait écrire plevre, en se servant du v voyelle, tout en prononçant pleure ; peu à peu, dans l'un et dans l'autre cas, on a fini par prononcer comme on écrivait.

Voilà une raison, ce nous semble ; mais peut-être y en a-t-il une autre. Les bonnes soeurs des couvents sont extrêmement chatouilleuses et pointilleuses ; il est de certains assemblages de lettres qu'elles ont en horreur, qui sont comme une souillure pour leurs bouches pudiques. Jugez du dépit qu'elles éprouvaient d'être obligées vingt fois par jour de prononcer une de ces syllabes maudites, et en parlant de la pieuse maison qui les abritait ! Convent, convent, toujours convent : fi ! cela fait venir de mauvaises pensées. Elles ont pris tout doucement l'habitude de dire couvent et pour ne pas contrarier ces saintes filles, on a fini par faire comme elles ; mais elles n'ont pas encore aussi bien réussi pour le mot confitures que, par la même raison, elles s'obstinent à prononcer fitures.

Extrait de La Curiosité littéraire et bibliographique : Articles littéraires. Reproductions, extraits et analyses d'ouvrages curieux. Notices de livres rares. anecdotes, etc.- Première série.- Paris : Isidore Liseux, 1880.- Pet in 8° ; IV-224 p. [Exemplaire de la bibliothèque Robarts de l'Université de Toronto disponible sur Internet Archive].

1 commentaire:

Miklos a dit…

Vous écrivez, à propos de la forme convent : "il n'y en a pas eu d'autre dans notre langue jusqu'à la fin du XVIII siècle."

Et pourtant, l'édition de 1694 du Dictionnaire de l'Académie, que vous citez, écrit à propos de convent : "Quelques-uns escrivent Couvent". On le trouve aussi dans d'autres ouvrages édités vers la fin du XVIIe s.