samedi 25 avril 2009

Calembour

Sans atteindre les sommets du genre que sont la Lettre écrite à Madame la comtesse Tation, par le sieur de Bois-Flotté (1770) et Les Amours de l'Ange Lure (1772) du Marquis de Bièvre (1747-1789), maitre es-calembours, voici une petite histoire amusante du chansonnier normand Charles (non pas Jules) Lemaître (1854-1928).

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Drôle de Mariage
Abruticologie !

Je connais un ménage fort original, dont je vais essayer de vous faire la description.

Le Père Ci, chef de la communauté, est encore très vert pour son âge et rend beaucoup de services dans la cuisine, où la Mère Ci, son épouse, l'emploie journellement.

On pourrait peut-être reprocher à cet aimable couple de manquer d'élégance ; en effet, chacun trouve le Père Ci boulot et la Mère Ci boule, mais tous les deux possèdent des qualités qui font aisément oublier leur manque d'esthétique.

Très sobre, jamais on ne vit le Père Ci boire des apéritifs variés dans les bars de son quartier, et quant à la Mère Ci, bien qu'elle ne brille pas dans la conversation, ce qui fait qu'on trouve la Mère Ci terne, elle n'en est pas moins fort honnête et la Mère Ci paye très exactement ses fournisseurs. Elle a toutefois un léger défaut, c'est d'altérer fréquemment la vérité, aussi quand la Mère Ci ment, le Père Ci rage.

Le ciel ayant béni l'union de ces braves gens, ils eurent une charmante fillette et bien qu'ils aient eu leur petite Ci tard, chacun s'accorde à trouver la jeune Ci belle.

Il faut maintenant que je vous présente un jeune homme qui eut une grande influence sur les destinées de cette charmante enfant ; je veux parler du jeune Graphe.

Pâle et haut, Graphe est d'une distinction parfaite ; ayant ren­contré la jeune Ci dans une réunion, il s'éprit, pour elle d'une passion très profonde et un jour, on l'entendit s'écrier : « Ah ! si la petite Ci m'agrée, je serai le plus heureux des hommes.

Petite Ci, gare à l'amour ! toi aussi tu pris feu à la vue du jeune Graphe et tu l'aimas tout de suite, mais la jeune Ci n'aima tôt Graphe que pour le regretter plus tard.

Ils se marièrent et dans les premiers temps de leur union pour goûter les charmes qua l' lit, Graphe et sa jeune épouse y faisaient des séjours prolongés ; mais tel est Graphe qu'un fil l'entraîne ; il retrouva des compagnons de plaisir d'autrefois et fit la fête avec eux hors de chez lui. Plusieurs fois, il faut le dire à sa honte, il rentra gris chez lui, bien que sa pauvre petite femme lui ait dit à chaque fois: « Tu te saoûles oh ! Graphe, que c'est mal. »

Le malheureux rentrait fréquemment harassé de fatigue et s'en­dormait presque aussitôt couché, sans adresser un seul mot à sa femme qui n'osait pas lui faire de reproches.

Pourtant un soir elle s'enhardit à lui dire : « Comme tu dors tôt Graphe ! » mais le cruel fit la petite Ci taire et continua de ronfler toute la nuit ; comme le matin il se levait de très bonne heure, sa jeune femme lui dit : « Comme tu quittes le lit tôt Graphe ! » et elle lui lança un tendre regard. Les regards que la petite Ci lance sont pourtant fort éloquents, mais insensible à tout, le misérable lui ré­pondit : « Oui, je pars et ne reviendrai jamais. »Désolée, la petite Ci fond en larmes et s'écrie : « Tu pars ah ! Graphe, ne m'aban­donne pas.

Graphe au fond n'est pas méchant, il revint près de sa tendre épouse et lui promit de se corriger.

Très avisée, pour retenir définitivement Graphe au logis, la petite Ci fut au Bon Marché acheter la plus forte agrafe qu'elle put trouver et à l'aide de laquelle elle s'attacha son volage époux pour toujours.

Si vous devenez fou en lisant cela, la faute à qui ?

Parbleu, c'est la faute au Graphe !

Ch. LEMAÎTRE (Revue illustrée du Calvados, nov. 1913)

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Réf :
Plusieurs textes de Charles Lemaître sont en ligne sur la Bibliothèque électronique de Lisieux dont les Joyeux bocains (1917).
De et sur François Georges Maréchal, marquis de Bièvre on lira avec plaisir les Calembours et autres jeux sur les mots d'esprit présentés par Antoine de Baecque (Payot, 2000) - (Bm Lx : 847.5)

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