samedi 27 septembre 2008

Curiosa

ANONYME.- Voyage de trois turcs de qualité : histoire mêlée de vrai et de faux comme le sont presque toutes celles qu'on lit. Traduite de l'arabe.- A Folichonopolis : Chez Polissonnet, rue du badinage, MDCCLXVII [1767].- 93 p. ; 21 cm.

Réimpression à petit nombre par E. Cagniard, à Rouen, le 20 octobre 1881 avec une notice de J. Deschamps (1845-1888). Marques de Etienne Deville et de François Cottin à Lisieux


NOTICE

L'OUVRAGE dont nous offrons la réimpression aux bibliophiles aimant les productions gaies et lestement tournées, paraît être d'une excessive rareté, s'il n'est même pas à peu près inconnu. Tous les amateurs auxquels nous en avons parlé, y compris le plus érudit de nos bibliophiles normands, dont les connaissances bibliographiques font autorité, n'ont pu découvrir la trace de cette œuvre ; elle ne figure pas non plus dans la bibliothèque du savant et regretté M. Canel, qui avait réuni, depuis nombre d'années, tous les ouvrages intéressant la Normandie et principalement ceux relatifs à Pont-Audemer. Enfin, il n'en est pas fait mention dans les Manuels de Frère, Brunet, Barbier, Quérard, etc.

Cette production a donc le mérite d'une réelle nouveauté.

Quel en est l'auteur ? et quels sont les personnages dont il décrit les aventures d'une manière si piquante ? C'est ce que nous laissons à d'autres plus compétents le soin de découvrir, tout en inclinant à croire que l'auteur a voulu désigner, sous des pseudonymes plus ou moins transparents, certains personnages de l'époque, et qu'il aura froissé de hautes susceptibilités. Ce qui l'indiquerait, c'est la destruction en règle dont l'ouvrage parait avoir été l'objet, au point d'être devenu rarissime et introuvable .

J. DESCHAMPS.

[ACQUISITION DE LA MEDIATHEQUE DE LISIEUX POUR LE FONDS NORMAND - JUILLET 2008]



CHAPITRE II (extrait)

De ce qui leur arriva sur la route de Paul-Audemer,
& de ce qui se passa à leur arrivée dans cette ville.


Le vin que nos Turcs avoient bu les rendit gaillards sur toute la route, & ils ne rencontrèrent point de filles auxquelles ils ne contassent quelques drôleries à la turque, & ces bonnes personnes, qui n'y enten­doient rien, en rioient de tout leur cœur. Issachar Modé, secrétaire de Sa Hautesse, eût trouvé cette route passable­ment amusante si un gros rhume qu'il avoit n'eût entretenu ses idées de mal ; mais chaque quinte de toux occasionnoit un traité sur le mal physique & le mal moral entre lui & l'Aga des Janissaires réformé : pour Abraham Rondelet, il ne trouvoit de mal qu'à se taire, & pour que tout fût pour le mieux il ne déparloit point. Tandis qu'il défrayoit en bons propos toute la caravane, Ibrahim Pàté se désespéroit d'être obligé de descendre de cheval. Déjà avec grande peine il avoit mis pied à terre vingt-neuf fois & s'étoit reguindé avec encore plus de tourment sur son Bucéphale, lorsque, pour son malheur, il fut obligé de descendre une trentième fois, & c'étoit là où le diable l'attendoit. A peine descendu, son cheval arabe, piqué par une mouche de Bretagne, fait une pétarade & plante là le grand pannetier, qui fut fort embarrassé : les esclaves maudirent le cheval qui abandonnoit ainsi une des lumières de l'empire Ottoman & ensuite coururent après ; pour Ibrahim Pâté, il voulut marcher à pied, mais, s'étant embarrassé dans ses éperons, il donna du nez par terre : si même le terrain n'eût pas été mollet, sa face eût pu être aplatie. Les mauvaises plaisante­ries lui manquèrent moins que les bonnes, il se releva sans mal ni douleur, & étant remonté à cheval, il fit serment de ne plus descendre qu'à l'auberge ; mais comme les mêmes besoins le pressoient fouvent, il se servoit d'un fouet de Cordelier à manche creux, dont s'était pourvu un de ses esclaves, & par le moyen de cet ajoutoir, il fournissoit un canal au ruisseau.

Après trois heures de marche, nos voyageurs arrivèrent au haut d'une montagne au bas de laquelle étoit un amas de clochers, de maisons et de cheminées. Isaac Vypato, qui admiroit tout, trouva cela charmant : il étoit dans le plus grand étonnement de ce que tout le monde ne voya­geoit pas ; il se rappela même quelques sentences d'un auteur oriental nommé Baudelot, sur l'utilité des voyages, & en fit une application aussi juste qu'érudite, en sorte que la montagne se trouva descendue.

La caravane entra dans Pont-Audemer avec fracas, car tous les chevaux étoient ferrés de neuf de la veille, & d'ailleurs les chevaux arabes font plus de bruit que d'autres. Toute la compagnie sut descendre à la meilleure auberge; les Turcs se débotèrent & sortirent pour voir la ville : mais, à la porte de l'auberge, l'ancien Aga des Janissaires fut abordé par un vieil officier françois, qui lui rappela qu'il l'avoit connu du temps de Charles XII, à l'affaire de Bender. Grande reconnoissance comme on peut se l'imaginer. Cet officier étoit un de ces vieux chevaliers de St-Louis qui, échappés de la bataille de Malplaquet, s'en vont contant partout qu'un boulet de canon tua le tambour du régiment à cent pas d'eux ; qu'au siége de Bergopsoom ils avoient l'honneur de commander les grenadiers qui restèrent à la garde du camp, & que, si l'ennemi fût venu attaquer le bagage, il y auroit fait chaud. Nos voyageurs, conduits par cet officier, firent le tour de la ville : ils jugèrent, à son air désœuvré, que sa broche pouvoit être assez mal garnie ce soir-là ; pourquoi ils l'invitèrent à souper, ce qu'il n'eut garde de refuser. Mais en attendant le souper, dit le Grifoni Bachi, que ferons-nous ? N'y a-t'il point ici de beauté fran­çoise qui puisse nous consoler de la privation des dames turques ? S'il y en a ! dit le capitaine françois en renfonçant son chapeau, morbleu, vous l'allez voir, je suis connoisseur ; nous avons aussi beau que vos Géorgiennes, & quand j'étois auprès de Pultova... Il alloit entamer une longue...

ERRATA

ON n'imprime point de livres sans Errata, & c'est par cette raison seule qu'on en a mis un à la fin de cet ouvrage, car on a eu beau chercher, on n'y a trouvé rien à corriger.

A la page 6, lisez comme il y a.
A la page 12, ne changez rien.
A la page 21, il n'a point de faute.
A la page 82, tout est en règle.

Il faut convenir que cet Errata est assez inutile, mais l'usage veut qu'on en mette un, & le bonhomme Horace nous a assuré que l'usage étoit une bonne chose, & qu'il devoit présider à nos actions comme à notre langage. Si je n'écrivois pas pour une dame, je citerois le passage latin ; mais elle m'en feroit reproche, pourquoi je dirai en françois :

Il faut en tout suivre l'usage,
Il est la règle de nos moeurs,
Il est l'arbitre du langage,
Il règne même sur les coeurs ;
Si le mien est jamais volage,
Qu'on ne s'en prenne qu'à l'usage.

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A découvrir prochainement (pour ceux qui ont du temps à perdre) en salle de lecture de la Médiathèque [sur présentation d'une pièce d'identité et bien sûr d'un certificat de bonnes mœurs délivré par le curé de votre paroisse].

Un abonnement annuel gratuit aux ressources numériques en ligne de l'établissement à qui pourra identifier l'auteur de cette curiosité bien futile !

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