Pourtant, ce livre, Les Années, est, à mon sens, l'un de ses livres les plus difficiles d'accès, celui qui condense en deux cents pages l'ambition littéraire d'une vie entière. Je voulais vous parler de ce livre mais je repousse le moment de le faire depuis deux semaines maintenant, le temps de la "décantation" me disais-je, mais je ne parviens pas à trouver la distance critique pour le faire, je ne parviens pas à sortir de l'émotion...
Je laisse donc le soin à d'autres de vous en parler mieux que moi ; et l'article que j'aurais voulu écrire existe déjà, rédigé par Jean-Claude Lebrun et publié par L'Humanité, le 7 février.
Je voudrais quand même vous mettre un peu dans le secret de l'écriture de cette auteure majeure...
Le livre, publié en 1983, intitulé La Place, récompensé du Prix Renaudot, s'ouvre sur une citation de Genet, qui illustre toute son oeuvre à venir :
"Je hasarde une explication : écrire c'est le dernier recours quand on a trahi."
Trahison envers le père et la mère, envers son milieu d'origine, envers elle-même. Trahison qui va la constituer, la définir. Et qu'elle ne finira jamais d'expliquer. Trahir et réhabiliter, telle est ma lecture de l'oeuvre de Annie Ernaux.
Une réhabilitation qui passe par l'écriture ; alors que c'est justement cette érudition, cette éducation qui l'a séparée des siens, Annie Ernaux invente une écriture propre à dire son expérience.
"Je voulais dire, écrire au sujet de mon père, sa vie, et cette distance venue à l'adolescence entre lui et moi. Une distance de classe, mais particulière, qui n'a pas de nom. Comme de l'amour séparé."
Pour dire cela, elle doit réinventer une écriture qui ne creuserait pas encore plus de distance entre elle et les siens, elle tente un roman puis arrête en cours de route "sensation de dégoût au milieu du récit."
La solution viendra ensuite, "Pour rendre compte d'une vie soumise à la nécessité, je n'ai pas le droit de prendre d'abord le parti de l'art,[...] Aucune poésie du souvenir, pas de dérision jubilante. L'écriture plate me vient naturellement, celle-la même que j'utilisais en écrivant autrefois à mes parents..."
Ecriture "plate", refus de toute connivence avec le lecteur, que seuls les "happy few", ceux qui possèdent les codes pourraient comprendre. Une écriture qui est l'aboutissement d'un travail à la lisière du littéraire, du sociologique et du biographique. Une écriture de l'impudeur, physique et sociale. Une écriture personnelle pour dire une histoire personnelle. Tel est le travail d'Annie Ernaux depuis 25 ans. Par l'écriture réinventer des liens que la vie a brisés entre elle et son père.
Viendront ensuite une quinzaine de livres, tous autour de ce thème de la réhabilitation, autour de son histoire personnelle qui devient, par le truchement de la littérature, histoire universelle. Qu'on lise Une Femme, le pendant de La Place, dans lequel elle raconte les différents visages de sa mère ; qu'on lise La Honte, ou encore le livre bien nommé L'écriture comme un couteau, on retrouve à chaque fois la justesse du mot, de l'analyse, et la portée universelle d'une voix unique dans la littérature.
Voilà bientôt dix ans que j'ai ouvert un livre de Annie Ernaux pour la première fois, et dix ans que son univers m'accompagne, que ses mots mettent le monde en ordre.
En plus d'être une grande auteure, Annie Ernaux est aussi une femme adorable, très proche de ses lecteurs, qui vous reconnait d'une année sur l'autre et d'un salon du livre à un autre ; toujours un mot touchant et de la douceur dans la voix. J'ai hâte de la revoir au Salon du livre de Paris... Elle y sera pour discuter avec nous, le dimanche 16 mars à 17h00, sur le stand Gallimard.
Je laisse donc le soin à d'autres de vous en parler mieux que moi ; et l'article que j'aurais voulu écrire existe déjà, rédigé par Jean-Claude Lebrun et publié par L'Humanité, le 7 février.
Je voudrais quand même vous mettre un peu dans le secret de l'écriture de cette auteure majeure...
Le livre, publié en 1983, intitulé La Place, récompensé du Prix Renaudot, s'ouvre sur une citation de Genet, qui illustre toute son oeuvre à venir :
"Je hasarde une explication : écrire c'est le dernier recours quand on a trahi."
Trahison envers le père et la mère, envers son milieu d'origine, envers elle-même. Trahison qui va la constituer, la définir. Et qu'elle ne finira jamais d'expliquer. Trahir et réhabiliter, telle est ma lecture de l'oeuvre de Annie Ernaux.
Une réhabilitation qui passe par l'écriture ; alors que c'est justement cette érudition, cette éducation qui l'a séparée des siens, Annie Ernaux invente une écriture propre à dire son expérience.
"Je voulais dire, écrire au sujet de mon père, sa vie, et cette distance venue à l'adolescence entre lui et moi. Une distance de classe, mais particulière, qui n'a pas de nom. Comme de l'amour séparé."
Pour dire cela, elle doit réinventer une écriture qui ne creuserait pas encore plus de distance entre elle et les siens, elle tente un roman puis arrête en cours de route "sensation de dégoût au milieu du récit."
La solution viendra ensuite, "Pour rendre compte d'une vie soumise à la nécessité, je n'ai pas le droit de prendre d'abord le parti de l'art,[...] Aucune poésie du souvenir, pas de dérision jubilante. L'écriture plate me vient naturellement, celle-la même que j'utilisais en écrivant autrefois à mes parents..."
Ecriture "plate", refus de toute connivence avec le lecteur, que seuls les "happy few", ceux qui possèdent les codes pourraient comprendre. Une écriture qui est l'aboutissement d'un travail à la lisière du littéraire, du sociologique et du biographique. Une écriture de l'impudeur, physique et sociale. Une écriture personnelle pour dire une histoire personnelle. Tel est le travail d'Annie Ernaux depuis 25 ans. Par l'écriture réinventer des liens que la vie a brisés entre elle et son père.
Viendront ensuite une quinzaine de livres, tous autour de ce thème de la réhabilitation, autour de son histoire personnelle qui devient, par le truchement de la littérature, histoire universelle. Qu'on lise Une Femme, le pendant de La Place, dans lequel elle raconte les différents visages de sa mère ; qu'on lise La Honte, ou encore le livre bien nommé L'écriture comme un couteau, on retrouve à chaque fois la justesse du mot, de l'analyse, et la portée universelle d'une voix unique dans la littérature.
Voilà bientôt dix ans que j'ai ouvert un livre de Annie Ernaux pour la première fois, et dix ans que son univers m'accompagne, que ses mots mettent le monde en ordre.
En plus d'être une grande auteure, Annie Ernaux est aussi une femme adorable, très proche de ses lecteurs, qui vous reconnait d'une année sur l'autre et d'un salon du livre à un autre ; toujours un mot touchant et de la douceur dans la voix. J'ai hâte de la revoir au Salon du livre de Paris... Elle y sera pour discuter avec nous, le dimanche 16 mars à 17h00, sur le stand Gallimard.
1 commentaire:
Bonjour,
j'aime bien lorsque vous écrivez qu'Annie Ernaux à des mots qui mettent le monde en ordre (sans mauvais jeu de mots). C'est bien ça, surtout, de mon point de vue, pour ce dernier bouquin. J'ai enfin une cartographie historique, des points de repère qui m'éclairent et me font mieux comprendre l'identité de la virginie sociale (entre autres). J'ai vu dans ce livre mes parents et moi-même et toute ma famille, il y avait tant de convergences ! Ca me permet(tra) d'accepter de m'éloigner encore plus du système, sans regret. Un article que j'aime bien, de l'amoureux aveuglé : philippe Lançon : http://www.liberation.fr/culture/livre/308526.FR.php
Au revoir, virginie donc.
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