Quand j'ai poussé la porte de l'atelier d'écriture, il y a
quelques années déjà, je ne sais pas à quoi je m'attendais : un groupe
d'intellos en mal de reconnaissance, quelques désœuvrés cherchant un sens à
leur vie, des illettrés venus recueillir des leçons de grammaire sans en avoir
l'air, des handicapés du samedi matin fans ni de grasse matinée ni de bain de
foule au marché... Je ne sais toujours pas ce que je venais chercher mais je
sais ce que j'ai trouvé : une assemblée de bons vivants incapables de
passer une matinée sans parler et surtout sans écrire sur les douceurs du
palais. Le thème semble vraiment fédérateur. Tout y est passé, chocolat, thé et
même bouillon cube...
Aujourd'hui c'est la madeleine : jaune, dorée, bombée à
souhaits, aux œufs et au beurre, gourmande comme on l'aime. Peut-être est-ce le
signe que nous sommes tous devenus de Petits Proust.
C
Les impressions du matin- Des mots échangés et un dialogue-
La Madeleine
Pas de temps pour sentir, goûter.
Mais, tous ces gens, ces passants qui sont là et que
j’évite ! Ils bloquent ma course. Comme si l’essoufflement ne suffisait
pas. Il y a aussi un jeu de quilles.
Miroir :- Je renvoie l’image de mon Emma bien-aimée.
Elle passe beaucoup de temps avec moi. Chaque matin et chaque soir nous passons
des heures face à face.
Conscience :-Moi je suis tout le temps avec elle, toute
la journée. Nous n’avons pas d’horaire, pas de rendez-vous à heure fixe. Nous
sommes un couple libre tous les deux. Je la laisse vivre, moi. Je suis
discrète. Mais, au moment des décisions, je suis à ses côtés, je lui parle, je
la soutiens. Je ne veux pas qu’elle prenne un mauvais chemin. Alors, si elle ne
m’écoute pas, je parle plus fort, je crie, je tape du pied. Je la suis sans
arrêt jusqu’à ce qu’elle suive mon conseil.
Miroir :- moi, j’aime nos rendez-vous quotidiens
Conscience :- Moi, j’aime faire partie d’elle et lui
montrer le bon chemin.
Nous nous complétons. Grâce à nous, elle est devenue ce
qu’elle est.
E
Madeleine, que j’aime ta forme. Ton dôme et ta barquette
striée me laisse invariablement l’image d’une vedette glissée sur les eaux de
Venise. Ta consistance est comme une architecture ronde et en même temps
ciselée, une gourmandise digne de l’art romain et baroque entremêlé. Ta forme
recèle l’unique, cette entente entre une surface plane et la rondeur pleine.
J’aime madeleine cet œuf qui germe en toi. Tu me révèles en même temps un
secret et ma convoitise, l’idée d’un repli et d’une naissance jalousée. Si je
te donnais ton origine, c’est vers les eaux où des embarcations légères mènent
à une destination isolée et espérée.
E
Pêches- brugnons- Hum ! Cela fait envie. Mais d’autres
achats à faire. Ce sera pour la semaine prochaine. ..
Dialogue insolite.
-
Eh ! Lapin…arrête de mettre tes pâtes sur
moi. Tu détruis ma belle surface bien lisse !
-
Arrête de râler… J’aime les carottes au beurre.
Ça croustille et c’est si bon quand ça fond dans la bouche.
-
Oui, mais tu ne t’es même pas lavé les pattes.
Et puis une patte ça va encore mais les quatre ! J’en suis tout écrasé.
-
Et alors, de toute façon tu aurais fini comme
cela ou bien complétement liquéfiés au soleil. Donc, arrête de te plaindre.
-
Je crois bien que je vais fondre en larmes. Je
me réservais pour un petit déjeuner. Savoureux- délicatement caressé par un
joli petit couteau respectueux de ma surface tendue et parfumée.
-
Ce n’est que ça ! attends, je vais te
remettre d’aplomb
-
Ah non ! pas avec tes oreilles !
Madeleine !!! Ne pleure pas comme un Madeleine.
Absurde… car celle que je connais aime rire aux éclats et n’engendre pas la
mélancolie.
Mais les madeleines… Facile à faire puisque j’y arrive. Sauf
que celle-là a un parfum d’amande qui réjouit les narines et donne envie de la
croquer tout de suite. Alors, je la mange lentement pour laisser le goût se
répandre dans ma bouche, délicat, parfumé… Je la laisse fondre et je goûte
pleinement la saveur douce, légèrement sucrée et à la fin le subtil goût
d’amande perçu lorsque j’ai ouvert le sachet tout à l’heure. Gourmandise, oui,
mais quel délice et quel plaisir !
M
Qui t’a piqué ? Un quadripatte Qui t’a rongé ? Un
chien Qui es-tu ? Un os Qui n’a plus rien sur lui ? Si, un peu de
chair. Qui est chaude ou froide ? Goûte. Beurk, je te pique Pique
Moustique-Ouille Douille
Jeannette, elle n’est plus ce qu’elle était à force de
manger elle a un gros ventre. Son teint a jauni, sans doute un dérèglement du
foie. Mais elle met toujours des robes extravagantes, avec des tissus
fantastiques qui, quand elle marche l’accompagnent par des petits sons de frôlement,
de craquement. Cette fois, son enveloppe est transparente. Elle parade comme
dans son bon vieux temps, avec sa démarche chaloupée, son dos tout bronzé UV.
Jeannette, tu n’es plus toute jeune mais quand tu passes, tu sens bon le beurre
frais, franchement tu nous émoustilles les sens, tu nous invites à te croquer,
à t’effeuiller, à te consommer- Jeannette !- Pardon, monsieur, veuillez
retirer votre main, s’il vous plait et moi ce n’est pas Jeannette mais
Madeleine.
G
Déballage autour de la madeleine.
Indéniable retour à l'enfance, moment de partage familial
mélangé de l'autonomie imposée par des parents commerçants
La pâte molle vient se déposer dans les moules incurvées
et cannelées
Une odeur de
bicarbonate se dégage, elles sont encore brulantes, je ne peux les
manger mais elles ne me résisteront pas très longtemps.
Des années plus tard, elle sera le symbole d'un combat
des ouvriers qui se battent pour faire vivre Jeannette.
Il y a 15 jours, une envie de créer de nouveau souvenirs
à l'évocation du simple mot Madeleine et c'est finalement en face à face avec
elle aujourd'hui que j'aurais compté ce qu'elle m'évoquait.
Elle se présentait dans une robe transparente, prête à
attendre avant d'être dévorée, beaucoup ne résisteront pas mais je ne saurais
parler d'elle en faisant appel à mon goût.
En revanche, le crépitement cumulé de chacun des
emballages des déballages des voisins m'évoque le piétinement autour du four de
mon enfance. Je la vois d'ici avant que le ventre de la madeleine montre le
bout de son nez. Serais un appel à la vigilance pour ne pas que ça tombe sur
nos hanches ou une envie de maternité ?
Décidément la Madeleine n'a pas fini de nous faire
saliver.
D
Quand je suis arrivée dans la gare, flottait dans l’air une odeur de cookies.
Cette odeur m’enveloppait et un sucré réconfortant me plongeait dans un doux
cocon de sécurité et de bonne humeur.
Dialogue. Les 2 mots
sont : shampoing/ feuille de papier
Le shampoing fraîchement acheté est posé sur la table, une feuille de papier
avec les courses traîne aussi.
Shampoing :
Tu es content, à cause de toi, j’ai dû quitter mes amis, ma famille. Si tu
n’avais pas été là, Hélène m’aurait oublié et je continuerai à vivre
paisiblement sur mon étagère.
Feuille : Tu
dis des sottises. Tu étais sur le devant de l’étagère, à portée de main. Tu
étais destiné à partir.
Shampoing :
Tu as de la chance, tu ne seras jamais
pressé, mouillé, éclaboussé comme moi.
Feuille : ah
… Parce que tu crois que c’est agréable d’être gribouillée, raturée, pliée en
quatre dans la poche, de ne plus conserver cette blancheur imposante. Je
finirai à la corbeille, usée. Toi au moins tu vis plus longtemps.
Shampoing :
Non, tu es dans l’erreur, je suis torturé plus longtemps. Dans un mois, je
serai tout raplapla et je finirai dans la poubelle. Alors que toi, tu vas être
recyclée, après ton passage dans la poubelle jaune. Tu as plusieurs vies.
Feuille :
C’est normal, moi je viens du noble arbre.
Shampoing :
Attention quelqu’un vient. Oh une main me saisit. Adieu compagne éphémère dont
je ne connais pas le nom.
Feuille :
Adieu, dis-toi que toi tu donnes de la beauté, moi, je suis juste une passeuse.
Une main s’empare du shampoing et jette la feuille de papier
dans la poubelle jaune.
La Madeleine :
un des 5 sens.
Oh toi, noble madeleine, moelleuse, inoffensive,
nourrissante. Je ne chanterai jamais
assez tes louanges. Tu m’as sauvée, tu m’as nourrie quand, il y a quelque
temps, un dentiste intraitable a posé cet appareil pour redresser mes dents
désordonnées. Quand la douleur m’empêchait de mâcher et me condamnait à ne
boire que des soupes et des jus de fruit. Toi, tu étais là, tu m’as
interpellée, tu t’es rendue indispensable, tu m’as rassasiée. Ta mollesse a
adouci mon humeur, ta tendresse a su apprivoiser ma douleur. Mes doigts
émiettaient ton corps sans défense, prenaient plaisir à disséminer des petits
morceaux de toi, à les poser délicatement dans ma bouche, sur ma langue qui les
caressait doucement, et doucement encore jusqu’à ce qu’ils fondent discrètement
et disparaissent complétement.
H
Dialogue :
Le chat s’étire après une bonne sieste au soleil. Un besoin
pressant et naturel l’a réveillé. Un petit regard circulaire lui permet de
repérer ce dont il a besoin : une belle colonne de bois colorée. Il
s’approche et se soulage.
−
Dis-donc, l’animal, un peu de respect.
Le chat est pétrifié par cette voix venue d’en haut.
−
Je ne suis pas des toilettes publiques. Je suis
un personnage important.
× Ha oui ? Et en quoi es-tu important ?
−
Je suis au centre du village. Et ses habitants
s’inclinent devant moi.
× Ha ! Et c’est ça qui fait que tu es important ?
Qu’apportes-tu au village ?
−
L’unité, la paix, la force.
× Bof. Ca ne m’impressionne pas !
−
Dis-donc le chat pour qui te prends-tu ?
×Pour celui qui est plus fort que toi.
−
Hein ???
× Oui, oui.
−
Et pourquoi ?
× J’apporte la douceur et la ruse ainsi que la tranquillité.
Et puis je suis libre et indépendant. Et si je n’étais pas là, tu ne serais plus qu’un tas de
poussière.
−
Co Co Comment ça ?
× Les souris très cher, les souris.
Vaincu par cet argument massue, le Totem pleure des larmes
abondantes. Et les villageois émerveillés de ce miracle entament une danse
formidable et proclament trois jours de fêtes, chassant le chat importun aux
limites du village.
La madeleine de
Léonie :
C’est LE GRAND JOUR ! Depuis le temps qu’on
l’attendait. Enfin ! Marc et Corinne se marient. Enfin ! Cela fait
des semaines qu’on ne parle que de ça, qu’on ne vit que pour ça, qu’on ne
travaille que pour ça. Il a fallu tout faire : repas, apéro, déco,
organisation, logements, animation, répétitions de chants et j’en passe.
C’est le GRAND jour ! Enfin ! Moi, je suis
responsable des enfants. La messe a lieu à 13h. Quelle idée ! Pour que les
parents soient tranquilles, on m’a confié les enfants. Les faire manger à
11h30, les habiller, les emmener dans le Trafic 12 places à la cérémonie, les
occuper pendant cette même cérémonie. Ils sont 8. La cérémonie va durer
longtemps. Je décide de remplir mes poches de Choco BN afin de pouvoir tenir ces petites têtes blondes
tranquilles jusqu’au dernier Amen.
On arrive. Le cérémoniaire m’attend et m’indique les places
qui nous ont été réservées : juste derrière les prêtres, face aux mariés,
pour être sûres que les enfants voient bien.
Le grand orgue explose. La cérémonie commence. On est parti
pour deux heures trente de falbala.
Et là ! Tétanisée, je réalise qu’à chaque mouvement,
que dis-je ? à chaque micro mouvement, je fais un bruit de cascade. Les Choco BN sont emballés par deux dans un
sachet de papier qui bruisse à la moindre mobilisation. Et dire que tout à
l’heure, quand les enfants me les réclameront, il faudra sortir ces sachets de
mes poches, les ouvrir, puis les remettre dans mes poches. Aïe, aïe,
aïe !!!
Je pense avoir été plus regardée ce jour-là que les mariés
eux-mêmes. Depuis, je n’ai plus jamais mangé un Choco BN ni utilisé des friandises emballées.
L
1.
-
Ça y est je suis prête !
-
Pas moi, j’ai un petit souci…
-
Dépêches toi ! je commence à avoir froid.
-
Ne soit pas si impatiente ! Quelques
petites vérifications et je suis à toi.
-
Cela fait longtemps que j’ai senti ces petites
bulles parfumées dans mon ventre…
Ça y est tu es prêt à allumer ?
-
Oui, j’arrive ! Roule ma pierre et comble
les désirs de cette théière !
-
Merci, cher briquet ! comme toujours, je
suis comblée !
(Mots sur les papiers :
théière et briquet)
2
Ce que j’aime dans la madeleine
C’est qu’elle produit toujours le même effet
Dès qu’elle entre en scène
Tout le monde est émerveillé
Ce que j’aime dans la madeleine
C’est sa forme bombée
Qui met fin à la haine
Dans la cour de récré
Ce que j’aime dans la madeleine
C’est sa couleur dorée
Qui rappelle le pollen
Ou le jaune des champs de blé
Ce que j’aime dans la madeleine
Au-delà de l’aspect figé
C’est le souvenir qu’elle entraine
Un vrai voyage dans le passé.
B
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire