dimanche 13 novembre 2016

Atelier d'écriture du 8 octobre 2016

En amont de la conférence de Philippe Lejeune et Véronique Leroux-Hugon Ecrire sa vie, les participants seront invités à écrire sur les journaux intimes.




........ JOURNAL INTIME ...... 

Dans le vieux secrétaire
Dans la grande cuisine de ma mère
Derrière des tas de coupons de versement
Des allocations familiales pour nous les enfants 
Un carnet
Noir épais
Enfumé
Secret 
L'écriture appliquée
De pleins et de déliés 
Marie-Louise dans sa vie de tous les jours
Au jour le jour
Jeune esseulée sans son Pierre
Parti pour la grande guerre 
Les travaux de la ferme
Au fil des saisons
Et puis l'arrivée du petit Pierre
Seule mais si fière 
La fatigue les durs hivers
Labeurs peurs et quelques douceurs
Résignation
Vie à tâtons 
H

Du temps de son activité mon parrain était un grand homme d’affaires. D’ailleurs il est grand tout-court ! Il voyageait beaucoup dans le monde entier et nous rapportait toujours un petit cadeau typique du pays où il avait été.
Cette fois-ci il passait la semaine en Angleterre. Pas très intéressant au niveau exotique comme pays. Surtout pour la bande d’adolescents que nous étions. Le petit cadeau de retour excitait moins notre curiosité. D’ailleurs, y aurait-il un petit cadeau ?
Le soir du retour, le rituel fut respecté. Tous les enfants, du plus grand au plus petit se sont réunions autour de Parrain assis dans le canapé. La grande besace à petits cadeaux était bien là. Le rituel fut appliqué : d’abord les petits. Puis les moyens. Puis les grands. Je faisais déjà partie des grands.
Quand notre tour arriva, Parain sortit de la besace quatre paquets absolument identiques. Chacun des quatre grands en reçu un. Nous étions surpris. D’habitude les cadeaux étaient personnalisés.
Nous avons ouvert nos paquets avec quand même un brin de suspicion. Que pouvait-il venir de sympa d’Angleterre ?
Lorsque je découvris le petit cadeau je fus très perplexe. Un livre, à la couverture très rigide mais en tissu jaune pâle. Le titre : « Nothing Book ». Le livre RIEN !
???
Quand on ouvre le livre, des pages blanches. Même pas des pages avec des lignes.
Je jette un regard à droite et à gauche et remarque les réactions des autres grands.
Soudain, Juliette déclare, hyper enthousiaste : « c’est génial. Parrain, écris-moi quelque chose dans mon « Nothing Book » » Et elle a demandé à chacun de faire de même.
Nous avons tous imité sa démarche.
Depuis, j’ai toujours un « Nothing Book ». J’en suis au septième.
Et je demande à chacun de mes visiteurs d’écrire dans ce « Nothing Book ». Je l’emporte avec moi à chaque vacances pour qu’il soit complété par les gens rencontrés.
Que de merveilles de poésie, de dessins, de caricatures, d’amitié dans ces pages blanches des « Nothing Books »
E

Pour sûr, il était vraiment très joli, ce carnet.
Noir, couverture rigide, petite serrure avec petit cadenas en forme de cœur, pages sépia à réglures violettes.Cadeau de Noël de ma tante Luce.

Il donnait envie de s'y mettre tout de suite, de quitter immédiatement l'assemblée familiale réunie autour du sapin, des guirlandes et autres décorations de Noël fabriquées par des enfants chinois de six ans pour célébrer la fraternité et la paix dans le monde.
J'étais motivée, j'allais le commencer sans attendre, ce journal intime.
Donc : 25 décembre 1977... Quelle est la formule habituelle ? Ah oui... « Cher petit journal ».
Cher. Combien la tante Luce, connue pour sa radinerie, avait-elle investi dans ce carnet ? Il y avait de quoi douter.
Petit. Ça oui, il était petit. Forcément, elle n'avait pas choisi le grand modèle, la tante Luce.
Et ensuite, quoi mettre, sur ces réglures violettes, somme toute assez moches, vraiment ringardes sur ce papier jaunâtre ? J'attendrais la fin de la journée, j'aurais sûrement plus de choses à dire...

Je l'ai ressorti il y a quinze jours, du fond d'une caisse de vieux vêtements. Ce qu'il y avait dedans ?
« 25 décembre 1977, cher petit journal »... puis rien. Rien que les taches qu'avaient faites les réglures violettes en déteignant sur le papier moisi.
Décidément, Tante Luce n'avait pas choisi la qualité.
Et ma vie, soit je la vivais, soit je la racontais. J'avais fait mon choix.
D


Mon journal.
Un mois, puis deux semaines, deux mois, puis trois semaines. Je ne vais pas me le cacher, mais certains jours nous font plus vibrer  que d’autres, certains jours sont plus lumineux, plus solaires, plus magiques.
Des toiles d’araignée se font et se défont, mais il y aura toujours un moment où ma main le saisira, le secouera et l’ouvrira, afin de permettre à mes doigts de tracer quelques lignes importantes, lumineuses, solaires, magiques.
A

Aie Aie Aie
Dilemme du jour, en cahier contenant des secrets est en train de me faire de l’œil. Ai-je le droit. Est-ce que je vais vraiment découvrir quelque chose, après tout si elle n’avait pas voulu que je le lise, elle l’aurait sans nul doute cadenassé et ou encore caché. Alors que là, il m’attend les bras ouverts presque qu’avec la dernière page noircie pour m’initier à continuer. Malgré mes scrupules la tentation est trop forte, je ne peux résister et comme ce n’est pas non plus totalement autorisé me voici aux aguets très attentive au moindre grincement de parquet qui saura me  prévenir en cas de retour de l’auteur ou de ces congénères car personne ne doit savoir que désormais je suis au courant des petits secrets.
Par où vais-je commencer ? Je lis en diagonale la dernière page celle qui s’était invitée à venir la découvrir, je ne sais pas de combien de temps je dispose, j’ai bien envie de reprendre l’histoire depuis le début ou plutôt aux premières pages de cet ouvrage qui elles sont déjà la suite de nombreuses autres, ou bien cibler d’avantage, il faut que je fasse travailler ma mémoire, quel était donc ce jour où nous nous étions fâchés, où j’avais eu envie d’être la petite souris, serais un des personnage ?
Après plusieurs fausses alertes du vent, de la pluie bref de la tempête, cette fois il semblerait que je sois contrainte à repartir mon enquête et immersion dans l’intime à la prochaine escapade de son auteur
D

Sur une idée de Sylvain Ebon, de l’Abbé Nédictine, dans les décors de Paul Ricard, qui rit jaune avec le Père Nod.
A mon arrivée en Italie,
 j’ai fait des gammes à Bergame.
Je rêvais d’en faire à Birmingham, game, game, game
Puis j’ai bu beaucoup de rhum, à Rome, Rome, Rome, Rome
J’étais évidemment complétement rond, rond, rond
Je me suis alors fait un tour de rein à Turin, rin, rin, rin
Du coup, j’ai eu affaire à la médecine à Messine, cine, cine, cine
Puis j’ai fait la sieste à Trieste, ieste, ieste, ieste
Une fois rétabli, j’ai porté un toast, à Aoste oste, oste oste
Ah moi, faut pas m’en raconter
J’aime le vin, l’apéro et l’orangeade, geade, geade geade
Moi, l’alcool nomade qui ne peut boire de la limonade, nade, nade
Je suis alors parti en Grèce, boire de l’ouzo
Il faut dire que boire de l’Ouzo ça ouse beaucoup la …
Puis au Port du Pirée, j’en ai bu du pire et du meilleur
J’ai alors bu du vin fou à Corfou
J’y suis devenu alors complétement fou, fou, fou
C’est là qu’on a perdu ma Thrace, en Thrace, trace, trace
Ah moi faut pas m’en raconter
J’aime…
….
Puis je suis allé en Allemagne
Je me suis réveillé dans un wagon à Constance
D’une mauvaise humeur de circonstance, la, la, la
Ah moi , en Bavière, j’en ai bavé, hiert, hier, hier
Car j’ai trop bu de bière à Munich, hic, hic, hic
Puis le hic, c’est que j’étais bourré à Strasbourg
Avant d’être passé à Offenburg, à Kehl, là, quelle aventure. La bière et sa mousse m’étaient montées … à la tête. … loin de la mise en bière.
En Allemagne, j’ai fait un détour par la Pologne
J’ai alors craqué, avant d’aller à Cracovie
J’ai donc bu un verre d’eau de vie à Varsovie
J’en ai marre de l’eau de vie
Comme cette vie me tuait, j’ai plongé dans La Vistule
En effet, la vie d’alcoolo dépendant tue, comme on …. Hypo, pypo, hypothermie oblige !!!
Puis je suis revenu à la Frontière Allemande
Enfin, je suis arrivé en France, en tant qu’alcoolo européen transfrontière, je suis passé à Colmar
J’en avais marre, je me suis retrouvé dans le coltard, tard, tard, tard. J’avais peur de la mise en bière. J’avais la pression sion, sion, sion
Ah moi faut pas m’en raconter
J’aime le vin…………..
Puis j’ai fait une halte à Altkirch où j’ai bu du kirch. Dès l’aube à Troyes, je suis parti avec mes deux acolytes vers Montard où j’ai été viré de mon bar préféré par mon barman préféré. Je me suis alors dirigé vers Avallon, où nous avalons ces Montrachet ou ce Viré-clissé près de Macon, vin fleuri à souhait. Puis j’ai bu un dijo à Dijon.
J’ai pris un vin de Beaune où j’en tenais déjà une bonne. J’ai  suivi la route du vin louant ce breuvage à Louhans. J’ai été pris près de Lyon, boire un petit beaujolais, lais, lais, lais, non, beau, beau, beau avec sa robe pourpre, dans un bouchon lyonnais, nais, nais, nais
Excité comme un fauve par l’alcool, cool, cool, cool
Je me suis alors dirigé vers Montélimar où j’ai vu monter mon alcoolémie, mie, mie, mie
A force de marcher, j’avais mal aux nougats, ga, ga, ga comme Lady Gaga
J’ai bu ensuite une orangeade, à Orange comme me le préconisait une amie Jade, Jade, Jade
A Avignon, j’y ai dansé en rond, rond, rond sur son fameux pont d’Avignon gnon gnon gnon
Je suis alors passé à Nice, boire un apéritif anisé très corcé déjà ; je prenais ensuite le bac pour la Corse. J’ai repris le bateau vers Marseille, chercher de l’oseille. Avec l’oseille, je suis allé à Porqueu… où j’y ai bu un peu trop d’alcool, comme Hier à Hyères, où j’ai pu un peu trop de bière. Porque tant d’alcool me direz-vous avec justesse ? Porque l’alcool dont je raffole, j’en suis le porte-parole. Puis cap vers Nîmes où tout s’arrime où je m’égare autour des arènes, me perdant entre les arcades, mon cœur battant la chamade, derrière ces colonnades, où je bus en enfilade quelques limonades en guise de sevrage où je ne sais plus mon âge, dans cette divagation autour de la maison carrée, où je tourne en rond comme un hérétique contre lequel la société sobre jette l’opprobre.
Puis direction Mende, Clermont Ferrant puis Montluçon où j’ai bu un Saint Pourçain, ….pour cent terroirs Bourbonnais sur un petit territoire très sain pour ça. Je me suis alors dirigé vers Vichy, où il faut allier eau pétillante et vin au terme de ce voyage, puis j’ai mangé un pâté de pomme-de-terre, à tomber parterre comme on dit.
Ah moi faut pas m’en raconter………….
Puis je suis remonté à Paris en train quand Paris m’a pris doucement dans ses bras. Dans un train Paris Caen, j’y ai bu un thé à la menthe, je suis alors arrivé à Saint Malo, où j’avais mal au foie ma foi. J’ai continué mon périple à Brest, où ma voiture est tombée en rade, puis j’ai perdu la boussole à Paimpol avec une paimpolaise. Je suis alors rentré par Rennes pour que rien ne traine, j’y ai dépensé mes étrennes, j’y ai englouti une bouteille de chou-chen, avant que je n’en avale une autre à Laval. En Mayenne, la, la, la, la. Là, j’ai suivi la flèche afin de boire quelque Saumur. Puis pour me réchauffer à Cholet j’ai bu un bon lait chaud, puis près d’Angers, où un loir par la suite, là, là, là.
Ah moi, faut pas m’en raconter

J’ai découvert un jour dans mon grenier
Les péripéties de la vie de mon grand-père
Il vivait retiré dans la campagne andalouse
Où il s’y était réfugié
Avec ses enfants, il tenait une ferme et employait quelques journaliers retenus au jour le jour pour ramasser quelques pois-chiches, olives, du côté de Romda.
A cette époque-là, il vivait chichement mais était heureux, l’éducation était rigoureuse. Le fouet était de sortie à des moments exceptionnels et l’instituteur se déplaçait à la ferme de temps en temps, d’après mon père.
M

Les vaches
Le vent au saut des trois frontières dévalait les pentes et l’aurore éveillait le vallon de lueurs primitives. Ses flans anticlinaux anticipaient le futur mais le temps pour nous s’est arrêté. La paire dans sa corolle close a recueilli nos vies et l’herbe obstinée où nous plongeons nos visages quand la chaleur bruissait de soleil, filtrait la fuite des nuages. L’alouette invisible vrillait une note haute et l’herbe encore en ondes vagues berçait nos cœurs émerveillés.
Leurs battements ont comme le rythme des saisons.
Tissage d’argent flou les fils de la vierge dans leur lente dérive. Ont desserré leurs liens, nos ivresses ne sont plus qu’herbes fanées, subsistant nos souvenirs écrus et nos cœurs rassasiés. L’automne est venu. Dans la houle de ses brumes on ne voyait plus rien et tout se confondait comme une mémoire perdue.
Les bêtes reposaient. Seul un souffle puissant, un rauque préhistorique manifestait la vie.
Puis le vent à nouveau bondissait et les charmilles d’antan en torches brandies oscillaient d’or le rideau d’ombres des bois. La buse tourne sans fin et raille le ciel d’un cri net. Le temps s’en est all, déjà s’efface nos cœurs déracinés.
B

Journal intime: Combien en ai-je commencé? Il me faudrait fouiller les placards de mes successives résidences pour retrouver feuilles éparses, carnets entamés et non finis! Dilettante peut-être? Manque de constance surement. Il est difficile de matérialiser, de figer à l'encre et au papier ses pensées et ressentis: Est-ce un peu mourir? Etre dans l'ici et maintenant? Arrêter son mouvement, analyser, mettre en mots et fatalement restreindre ses sensations. Et puis se livrer totalement nécessite la certitude de ne pas être jugé, de ne pas être trahi par le support réceptacle: Que son trésor ne soit pas pillé par des regards impies! De même qu'il me parait difficile car irrespectueux de lire le journal intime d'autrui sans son accord.
Journal intime, confident, ami muet: Faudrait-il le confier aux flammes pour le réduire au silence éternel? Enfer ou paradis?
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